ABCdaire de ma famille ... raconté par Josiane Touche

ABCdaire

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mes décennies 1942 - 2002
40-50 ans Emmanuelle
40 ans Aline




Toute ma famille est originaire des Deux-Sèvres.

Les Deux-Sèvres, c'est ce département tout en longueur que peu de gens savent situer sur une carte !
Il est flanqué, du côté ouest de la Vendée, du côté est de la Vienne, coiffé au Nord par le Maine et Loire et assis au sud sur la Charente.

Mes ancêtres paternels sont originaires du nord des Deux-Sèvres. Mes ancêtres maternels sont originaires du sud des Deux-Sèvres, à une dizaine de kilomètres de Niort, à quelques encablures du Marais poitevin.


Aussi loin que je remonte le temps aujourd'hui, du côté de ma mère, les lieux de naissance et de mariage enregistrés sur l'arbre généalogique sont à 90%, Villiers-en-Plaine et quelquefois, Scieq ou Echiré.
C'est d'ailleurs à Villiers-en-Plaine que sont toutes les sépultures familiales, à l'architecture régionale, très particulière.
Villiers-en-Plaine était un bourg agricole, bâti autour d'un gros domaine : un château entouré de son parc, l'église tout à côté..

Mon arrière-grand-mère maternelle.

C'est la personne la plus ancienne que j'aie en mémoire.
Elle s'appelait Célestine Bourdeau, elle était née à Villiers le 28/07/1862 ; j'avais huit ans lorsqu'elle est décédée le 14/02/1950.
Elle avait épousé le 23/11/1886, à Villiers en Plaine, Pierre Léon Godeau, né à Scieq le 23/04/1861, appelé simplement Léon, décédé, lui, le 05/11/1904 à Villiers, à l’âge de 43 ans. Célestine dite"Néné" par ses petits enfants, est donc restée veuve à 42 ans et ce pendant 47 ans.
Ces arrière-grands-parents, comme tous les autres ancêtres, travaillaient la terre. Ils possédaient les terres qu'ils exploitaient. C'était une famille reconnue dans le pays, qui fréquentait le châtelain de Villiers, le curé, les religieuses ; le châtelain avait offert à Cécile, et Georgette, à l'occasion de leur première communion une chaîne et une médaille en or.

Je me souviens de sa petite maison, à Villiers en Plaine, tout en angle, sur la route de Niort, très près de l’école communale.
Néné y accueillait, tous les soirs, à la sortie des classes, ses petits-enfants qui venaient goûter chez elle. Elle était douce, accueillante, généreuse.
Maman, Georgette, donc sa petite-fille, particulièrement espiègle, échappait souvent à sa vigilance pour traverser la route en compagnie de son cousin Georges Godeau, dit Léon. Ils pénétraient alors dans son petit jardin, chipaient tous deux, fraises, framboises, groseilles…. selon les saisons.

J’ai le souvenir d’une petite femme, toujours vêtue de noir, très « ratatinée » sur sa chaise, dans une pièce méticuleusement rangée. J’y revois la francomtoise qui résonne à nos oreilles maintenant ; une bougie entretenait la chaleur d’une petite tisanière blanche, à la tête de son lit. Elle possédait cette petite chaufferette en cuivre qui lui apportait douceur, à défaut de chaleur, aux offices du dimanche, qu’elle ne manquait jamais. Le vieux dessous de plat en fonte bleu ciel, un peu écaillé, était le sien.
Elle avait épousé le 23 novembre 1886, Pierre Godeau, mon arrière-grand-père donc, à Villiers en Plaine. Il était né à Sciecq, une commune tout proche. Décédé en 1904, il n’assista pas au mariage de sa fille Berthe dite Georgina, ma grand-mère.


Il avait une sœur, Marie, mariée à un instituteur de Sciecq, Pierre Millet. Ils n’eurent qu’un seul enfant, Raoul.
Pierre et Marie Millet étaient donc oncle et tante de ma grand-mère et Raoul Millet, son cousin.
C’était une famille aisée qui avait constitué un fort beau trousseau pour leur fils. Ils habitaient une grosse maison bourgeoise au centre du village de Scieq. Nous sommes allés avec tante Paulette revoir la bâtisse qui existe encore. Malheureusement, Raoul fut tué à la guerre de 1418. N’ayant pas d’héritiers directs, à leur mort, leurs biens furent partagés entre ma grandmère Georgina et son frère Georges Godeau, leur neveu et nièce d'une part et leur famille de Scieq d'autre part.
Ceci explique : les initiales R M , peintes sur la vaisselle en porcelaine blanche au liseré bleuté, brodées sur des nappes, serviettes, draps…et la collection de cartes postales qui témoignent des échanges épistolaires de Raoul avec sa famille et ses camarades. Des gazettes de l’époque avaient été reliées et constituent de nos jours des témoignages bien précis de la vie à cette époque.



« Néné » a eu 2 enfants : un garçon, Georges, et une fille, Berthe, appelée Georgina, ma grand-mère ;
Maman m’a souvent parlé avec respect de son oncle, le tonton Georges Il était marié à Léa Vincent. Leurs sépultures sont à Villiers- en- Plaine, bien sûr, entre celles des grands-parents et des arrière-grands-parents.
Ils eurent un seul fils, prénommé Georges, lui aussi, mais appelé Léon.


J’ai beaucoup entendu parler de ce Léon Godeau. Maman et lui s’entendaient comme larrons en foire !
Je l’ai rencontré, un an avant son décès, à Magné, en 1998, où il habitait, dans le marais poitevin, avec sa 2ème femme, Madeleine, née Ramilly.
De son 1er mariage avec Cécile Frère, il eut 2 enfants, Christian et Claire qui sont actuellement respectivement médecin et institutrice. Christian, a été le médecin de tante Paulette, à la maison de retraite.
Quand j’ai rencontré Léon Godeau, j’ai tout de suite compris les liens qui pouvaient l’unir à maman. A 77 ans, il avait encore le regard malicieux, le propos vif, coquin, charmeur. C’était un bon vivant, amateur du Beau. Ingénieur aux Ponts et Chaussées dont les occupations favorites étaient la peinture et l’écriture. Les murs de sa maison étaient couverts de toiles très colorées non figuratives, d’affiches annonçant ses expositions, de croquis à l’encre de Chine révélant un trait rapide et un sens aigu de l’observation. Depuis Madeleine m’a offert quelques-unes de ses œuvres.
Il était l’ami de poètes connus comme René Char avec lequel il a produit des écritures. Madeleine a eu la gentillesse de m’offrir certains de ses ouvrages. Je me suis « régalée ». Son écriture est conforme à ce que j’ai pu percevoir de lui : vive, spontanée, croquant en peu de mots, une attitude, un caractère, analysant vertement les faits de société actuels.

Quelques écrits
aux éditions du Dé bleu : Après tout / On verra bien / C’est comme ça / Votre vie m’intéresse / Avec René Char.
aux éditions Saint-Germain-des-Prés : Le fond des choses.
aux éditions Ipomée : D’un monde à l’autre.
aux éditions Le Pavé : Carton.
pour le printemps des poètes : Florilège et catalogue.
La nouvelle revue française n°497 de juin 1994.

La commune de Villiers-en-Plaine a installé une nouvelle médiathèque dans une salle du château. Cette médiathèque a été inaugurée en 2007 et porte le nom de Georges Godeau en hommage à la renommée du poète et du peintre qu’il fut.

 

Berthe, appelée Georgina, ma grand-mère.

Elle s’est mariée le 3.10.1906 à Villiers en Plaine avec mon grand-père Victor Boussereau. Elle avait I9 ans et lui 22 ans.

Elle mourut à 61 ans, en 1948, trois ans avant sa mère et trois ans avant son mari, à Georgeon, commune de Luzay dans les Deux-Sèvres, dans la ferme qu’ils avaient exploitée. La gangrène lui avait rongé le talon. J’avais 6 ans.


Je suis née dans cette ferme puisque mes parents aidaient aux travaux de l’exploitation.
Le souvenir de ma grand-mère est très présent : c’était une très forte femme, petite, toute ronde avec un minuscule chignon ; elle était aussi toute ronde de chaleur, d’amour, de douceur, de gentillesse. Et j’essaie d’oublier des petits moments qui remontent à ma mémoire et dont je ne suis pas fière…Comme elle était fatiguée vu sa corpulence, elle se déplaçait difficilement ; j’allais à sa demande, vider « son pot » dans le jardin, juste à côté de la maison, en échange …d’un billet ou d’une pièce.
Elle faisait la vaisselle dans un chaudron tout noir, avec une lavette faite de chiffons enroulés autour d’un manche. Un jour, je voulus essuyer les assiettes, les belles, celles du service du dimanche, avec des petites guirlandes de fleurs roses. Mais je voulais faire comme les Grands, c’est à dire en prendre trois à la fois.
Malgré ses protestations, je n’en fis qu’à ma tête et aussitôt les trois assiettes éclatèrent sur le sol. La honte et le dépit ! Alors grand-mère me consola…

Son histoire est peu banale tant sa vie fut difficile. Elevée dans un milieu protégé, mariée jeune, elle a mis au monde 10 enfants en 22 ans.
Héritière de terres, d’argent, elle a été contrainte de quitter son village natal, pour naviguer de ferme en ferme, de fermage en fermage, après que son mari ait tout dilapidé en jouant et en buvant des week-ends entiers.

Sa dernière étape a été la ferme de Georgeon dans le nord des Deux-Sèvres. Séparée de sa mère d’environ 80 kilomètres, elle ne l’a jamais revue. Pas de transports faciles à l’époque. Mais chaque semaine, très fidèlement, elles ont correspondu par courrier.
Face aux faillites constantes de son gendre, Néné a fini par refuser d’aider financièrement le couple. A sa mort, ce seront ses petits enfants qui se partageront son héritage. C'est cet héritage qui a permis à mes parents d'acquérir leur maison de Saint-Jean-de Thouars.

C’est à Villiers, à la ferme des Ardillets que sont nés tous les enfants ; cette ferme existe encore, elle vient même d’être fraîchement restaurée. Elle est un peu excentrée par rapport au village ; les enfants allaient bien entendu à l’école à pied. Ce fut pour maman l’occasion de faire mille bêtises qu’elle s’est plu à me raconter pendant mon enfance !
C'est pourquoi, tante Paulette, qui réside maintenant à la maison de retraite de Villiers, a retrouvé, tout naturellement, ses copains et copines d’école ainsi que des cousins plus ou moins éloignés, comme Marie-Aimée et Paul Cailleton.

D’employeurs de plusieurs ouvriers agricoles, propriétaires de terres, de fermes, de maisons, mes grands-parents, pour faire face aux dettes qui s’étaient accumulées, malgré les aides de Néné, furent obligés de louer à leur tour des terres et des bâtiments pour travailler et nourrir leurs 10 enfants.
Alors que ma grand-mère était sur son lit de mort, mon grand-père est venu solliciter son pardon…et elle a pardonné ….


Après les Ardillets, ils exploitèrent la ferme de l’Alouette pendant 2 ans. Un héritage fortuit du grand-père avait même permis la construction d’un hangar. Mais sa conduite ne s’assagissant pas, malgré la responsabilité de sa nombreuse famille, ils durent partir près de la Mothe Saint-Héray, à Boesse, en fermage. Mais là, les terres étant humides, la maison régulièrement infiltrée, ils déménagèrent à Chassigny pour une durée de 18 mois. Ici, un conflit avec la propriétaire conduisit à la résiliation du contrat. Les 3 années suivantes, ils ont exploité des terres à Massais près de Moncontour ; mais les terres, dispersées et éloignées, rendaient le travail trop difficile.
En 1937, ils sont arrivés à Georgeon, commune de Luzay, dans une ferme légèrement en retrait de la route Thouars-Bressuire. C’est là que je suis née et que ma grand-mère est décédée.

 

A Georgeon

J’y ai vécu mes premières années, par intermittence. Mon grand-père ayant eu une sévère attaque cardiaque, mes parents ont quitté leurs emplois pour aider aux travaux de la ferme.

Maman était à l’époque garde – barrière aux passages à niveau de Saint-Jean de Thouars et de Saint-Jacques ; papa était chauffeur de camion. (La lampe en cuivre à pétrole que maman a astiquée amoureusement toute sa vie était une propriété de la SNCF !)

Si je creuse dans mes souvenirs, je revois la maison d’habitation qui s’ouvrait sur une cour, avec, à droite, les étables et les granges, et à gauche, une mare le long d’un chemin qui conduisait à Luzay à travers les champs ; tout à côté, une écurie et la soue aux cochons.
C’est sur ce chemin-là que surgit un jour un attelage de 2 chevaux emballés qui, miraculeusement m’épargnèrent alors que je jouais tranquillement dehors. Il me semble entendre le cri que ma mère poussa en me récupérant, mais je ne sais pas si le souvenir m’appartient vraiment ou si j’ai le souvenir du récit, mille fois conté, des frayeurs de ma mère !

Je distribuais les graines à la volaille ; je traînais dans les granges. J’ai même l’image d’une lampe à suif qui suppléait à la lampe à pétrole, seul moyen d’éclairage à l’époque. A la maison subsistent 2 lampes de Georgeon : celle en opaline blanche qui était alors suspendue au plafond de la pièce principale. Maman a supprimé l’armature métallique et l’a faite équiper électriquement,

J’accompagnais ma mère dans les prés quand, deux fois par jour, matin et soir, on y conduisait les vaches laitières, accompagnées de Fauvette, la chienne préférée de maman. Pour faire comme une grande, j’avais aussi un bâton piqué d’une pointe, pour aiguiller les bêtes. Toutes les vaches répondaient à leur nom : Noiraude, Mignonne…
Arrivées dans le pré, ma mère s’asseyait et prenait un ouvrage : raccommodage, couture… tricot plus rarement…
Je ramassais les cupules des glands pour improviser des dînettes...Un matin, ma mère se leva brusquement ; nous courûmes à travers champs. Maman appelait mon père en criant (il devait travailler dans les champs alentours). Je pleurai car j’avais perdu dans la course un de mes petits sabots de bois. Je ne comprenais rien…Plus tard ma mère me raconta sa frayeur : elle avait aperçu des silhouettes « d’individus » comme elle disait qui se glissaient derrière les haies et nous espionnaient .Craintive, avec ou sans raison, elle avait choisi la fuite. Mon père alla récupérer les vaches abandonnées, chercha mon petit sabot, mais ne le retrouva pas.

L'été, c'était la moisson. Un matin, très tôt, la grosse moissonneuse-batteuse arrivait dans la cour, s'installait.
Tous les fermiers des alentours participaient, leur grand foulard à carreaux violet et blanc, noué dans le cou pour éviter les démangeaisons irritantes des poussières de son qui volaient de partout et qui se glissaient dans les vêtements. Depuis la veille, grand-mère, aidée de tante Paulette, de maman, de femmes employées pour la journée, préparait des plats à n'en plus finir, pour le casse-croûte et le repas de midi. Il en allait du renom de la ferme et des fermiers !

J'avais l'immense privilège d'offrir à chacun de se désaltérer. Je portais à deux mains une bouteille de vin rouge, récolte de l'année passée. Son bouchon était percé de deux petits tuyaux de longueurs inégales. Les hommes la prenaient, la levaient bien haut et la gorge ouverte, buvaient à la régalade. J'ai moultes fois essayé mais je n'ai jamais réussi !

L'après-midi, c'était le transfert des lourds sacs de blé dans le grenier où ils étaient déversés à même le plancher. Les grains blonds, dorés, coulaient et glissaient pour former des tas pyramidaux. Mon plaisir alors, était de rentrer pieds nus dans ces tas de blé et de m'y vautrer. Les grains roulaient sur la peau, entre les doigts. C'était délicieux !

La traite des vaches était journalière, le matin très tôt et le soir, après le retour des prés. C'était l'affaire des femmes pendant que les hommes, fourche à la main, curaient les litières et apportaient un complément de nourriture dans les râteliers.
Maman se couvrait les cheveux en nouant un fichu derrière la nuque pour d'éviter les fortes odeurs animales. Elle prenait son seau d'aluminium et son trépied de bois. Elle se protégeait des coups de queue des vaches en attachant ces queues, avec de la ficelle, à la patte arrière…Elle posait alors son petit tabouret à la hauteur du pis de la vache, nettoyait d'un geste rapide les mamelles et calait son front sur le flanc de la bête…Commençaient alors la chanson du lait et la danse des pis ! Le lait fumant tambourinait sur les parois du seau puis le son, progressivement, s'adoucissait au fur et à mesure que le lait remplissait le seau. Les mamelles "essorées », on déversait le lait fumant dans une grande passoire métallique audessus d'un décalitre.
La traite terminée, les gros bidons de lait étaient transportés au bord de la "grand route" où le laitier en prenait régulièrement livraison. Il inscrivait sur un petit carnet, au crayon de bois, les quantités de lait ainsi transvasées.

Le chemin qui conduisait de la ferme à la "grand route" formait plusieurs coudes à angle droit, contournait un champ de topinambours dont les fleurs jaune vif illuminaient l'été, et dont les tubercules nourrissaient les cochons, puis une vigne bordée de grosses touffes d'osier bien souple avec lequel on tressait des paniers de toutes sortes...Mon goût très prononcé pour le lait doit dater de cette époque!



Le grenier à blé était accessible par un grand escalier de pierre. Il était au-dessus de la partie habitation, très modeste, puisqu'elle était uniquement composée d'une grande pièce à vivre et d'une seule chambre.
Je revois la porte d'entrée, tout en bois, une seule grande fenêtre à droite soulignée à l'extérieur par une treille qui courait tout au long de la façade. Immédiatement à gauche, derrière la porte, dans un renfoncement du mur, se trouvait la pierre d'évier, d'un seul bloc. L’écoulement, un seul trou percé dans le mur, se faisait à l’extérieur, à un mètre de hauteur environ, par un petit goulot creusé dans une pierre plate. Dans cet évier, trônait le seau rempli d'eau puisée au puits sur lequel était posée en équilibre la"zouillette", merveille des merveilles pour la petite fille que j'étais alors ! ...Une zouillette? un objet métallique avec lequel on puisait l'eau du seau. Une fois remplie et posée sur le rebord du seau, l'eau s'écoulait par un très long tuyau, lentement. On pouvait ainsi se rincer les mains ou alors boire à la régalade quand on était assez adroit pour ça ! Avant le balayage, on remplissait la « zouillette » et en obturant à demi, avec le pouce, l’orifice, on aspergeait le sol de la pièce à vivre en dessinant de gigantesques arabesques. Elles avaient la vertu, semble-t-il, de plaquer la poussière sur le ciment et de réduire ainsi l’époussetage.

Une grande cheminée occupait le centre du mur de droite. On l'allumait en posant sur ses chenets un fagot entier. Une marmite pendait, accrochée à la crémaillère. Sur le côté, au milieu des cendres chaudes et à proximité des braises, des petits pots émaillés rouge vif tenaient au chaud le café. La cheminée était un lieu de vie important. Toute la cuisine s'y faisait ; la suie, qui tapissait la plaque du foyer, permettait d'entretenir les chaussures : elle remplaçait le cirage ; des fers à repasser en fonte étaient maintenus au chaud en permanence par les braises du foyer. L’hiver, pour éviter le contact des draps glacés, on glissait dans le lit un ou deux fers bien chauds, enveloppés d'un torchon. C'était alors un plaisir que de se glisser dans le lit, de sentir sous les reins les plumes de la couette qui avaient emmagasiné la chaleur des fers, de poser ses pieds sur ces bouillottes improvisées… Les moments de repos se prenaient, assis face au foyer….

Au centre de la pièce se trouvait une grande table de bois, celle qui maintenant nous sert de bureau dans l'atelier. Mon grand-père s’asseyait à un bout et rythmait le temps du repas. Quand il pliait son couteau, c'était le moment de quitter la table et chacun se hâtait alors vers son travail. Les repas étaient plutôt silencieux ; seul, le grand-père pouvait diriger une conversation….

Les lits étaient des lits dits "de coin". On y entassait des "couettes" de plumes dans lesquelles on s'enfonçait mollement ; des couvre-pieds matelassés avec de la laine de mouton recouvraient les lits : leur confection mobilisait la couturière et de nombreuses volontés pour former les dessins qui emprisonneraient la laine entre les deux morceaux de toile tendus sur un grand cadre de bois posé sur des tréteaux. Une fois terminé, l'ouvrage recueillait l'admiration de tous et valorisait son propriétaire ! De gros édredons carrés garnis de duvets d'oies tenaient les pieds bien au chaud, et, par coquetterie, on les recouvrait parfois d'un carré de dentelle blanche.

Ces couettes avaient besoin d'être brassées chaque jour pour effacer les empreintes de la nuit…La position de ces lits de "coin" rendaient la tâche difficile ! Aussi avait-on recours à un …simple bâton, bien lisse, qui permettait d’enrouler l’extrémité des draps et de les replacer correctement le long du mur quasi inaccessible...un vrai savoir-faire qui peut faire sourire à notre époque où faire son lit pour certains est aléatoire !
La bonnetière qui renferme maintenant les disques et les jeux faisait partie du mobilier de la ferme ainsi que le fauteuil "bras" qui était celui de mon grand-père.


Pas de réfrigérateur à l’époque ! Pas de commerces de proximité ! Pas de "grandes surfaces" !
On se nourrissait des produits de la ferme : lapins, volailles, œufs, légumes du jardin…en particulier, les traditionnels haricots blancs, cultivés en plein champ, récoltés à la fin de l'été, puis séchés pour être conservés toute l'année. Avant chaque préparation, il fallait les trier, un par un. De minuscules parasites, des charançons, pouvaient les ronger de l'intérieur…Un vrai fléau !

Une fois les grains charançonnés éliminés, on mettait à tremper les "rescapés" dans de l'eau de pluie, qualifiée de douce, pendant toute une nuit. Le lendemain, dans un plat de terre, on les mitonnait doucement dans un coin de la cheminée. Cette cuisson très lente leur conférait un moelleux extraordinaire !

Outre les lapins et les volailles, on consommait principalement de la charcuterie maison !
Au bout de la cour se trouvait la porcherie. Chaque jour, dans de grands chaudrons, on cuisait des pommes de terre, des topinambours, des légumes divers. On y ajoutait l'eau de vaisselle sans détergeant à l'époque. La pâtée obtenue était déversée dans des auges de pierre de la soue. A l'approche des chaudrons, les cochons avertis tambourinaient avec leur groin contre les volets qui fermaient les auges.

Les truies pouvaient mettre bas, dans une seule portée, une dizaine de petits porcelets tout roses, qui se bousculaient, se piétinaient parfois pour atteindre les mamelles généreuses que leur mère, étalée sur le sol leur offrait. Malgré l'odeur repoussante de la porcherie , ce spectacle m'attirait inévitablement…Les petits grandissaient et, deux fois l'an, on tuait le cochon, le plus gros, le plus gras.

Des chaudrons d'eau bouillaient depuis les premières heures de la matinée. On sortait alors les terrines les hachoirs, les saloirs, les couteaux qu'on avait pris soin d'affûter la veille. Dès que le charcutier arrivait, on lui servait un café arrosé d'un bon petit verre de gnôle puis on extrayait avec peine de la porcherie la victime désignée pour la ficeler sur une échelle, la tête en bas…Je n'avais pas le droit d'assister à l'acte fatal, mais je savais quand il avait lieu. Un grognement plus fort, plus aigu que les autres, suivi d'une forte odeur de poils grillés emplissait alors toute la ferme. Branle-bas ! On s'affairait pour récolter le sang à partir duquel on confectionnait des guirlandes de boudins noirs, pour hacher la viande à pâtés qu'on mettait à cuire dans de jolies terrines en terre vernissées, ovales ou rondes, parfumées d'une feuille de laurier emprisonnée délicatement sous le couvercle. On découpait les rôtis, les rouelles…les morceaux de viande qu'on conserverait plusieurs semaines dans les saloirs et qu'on sortirait pour accompagner une bonne potée aux choux. Les abats étaient immédiatement préparés et servis. Pendant plusieurs jours, on 'ripaillait". Les rillettes, recouvertes de graisse après leur cuisson dans les chaudrons, se conserveraient plusieurs semaines dans leurs petits pots de terre. Le jambon, religieusement salé, aromatisé, était mis à sécher, pressé sous la vis du pressoir de la cave, pendant plusieurs semaines. Objet de soins constants, d'une surveillance régulière il était la pièce maîtresse de l'opération ! Une fois à point, il devenait la fierté de son propriétaire. On l'enfilait dans un sac d'étamine et l'accrochait à une place de choix dans la cuisine, souvent près de la cheminée pour éviter qu'il ne moisisse.
De temps à autre pour accompagner un plat de haricots, on le décrochait, ouvrait le sac, retroussait l'étamine et découpait de fines tranches en contournant la tête de l'os, toute ronde et luisante. Frit à la poêle, le gras fondait et le jus relevait délicieusement le plat de légumes.

J'ai conservé toute une collection de ces pots de terre……Serge y cuisine maintenant de délicieux pâtés.

 

L’aînée de la famille fut une fille  , prénommée  Cécile ,qui naquit à Villiers-en –Plaine en 1907.

Elle se maria avec Olivier Canteau, gendarme de profession, originaire de Benêt, village de Vendée, distant de 4 KM nommé dans le Calvados, ils y resteront toute leur vie.
Mon oncle avait la bonhommie des gens bien en chair ; il tirait assidûment sur sa pipe ; je n’ai de lui que des souvenirs rieurs et des grands éclats de rire : il taquinait, plaisantait souvent…ce qui ne déridait pas forcément tante Cécile, d’humeur plutôt sombre, excepté lors de ses retrouvailles avec ses sœurs, c'est-à-dire Maman et tante Paulette. Là, elles pouvaient éclater de fous rires mémorables !

Bénéficiant d’une retraite précoce de gendarme, mon oncle s’est converti en représentant de la marque Singer dont le siège était à Lisieux.
J’allais très souvent en vacances chez eux, à Saint-Pierre-sur-Dives. En conséquence j’étais devenue incollable sur la vie de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, sa célèbre pluie de roses, son diorama….qui ont avalé mon pécule de vacances en échange de médailles, souvenirs divers…que je gardais précieusement comme des reliques !

Au cours de ces séjours, mon oncle nous conduisait sur les fameuses plages normandes, Trouville, Deauville, Cabourg, Houlgate…la Manche est certainement la première mer dans laquelle je me suis baignée ; j’y ai pillé moultes coquillages dont les fameuses coques remplies industriellement de sucres colorés qu’on léchait jusqu’à l’écœurement. J’ai souvenir d’un naufrage de grosses pieuvres qu’on retournait, dégoûtés, effarés…du bout d’un bâton.

Ma tante géra une graineterie où je me suis initiée à l’art du commerce ! A dix ans, remplir des sachets, peser, rendre la monnaie…me donnaient de l’importance !


Mes cousines, Yvette, l’aînée, née en 1930, et Annette, née en 1936,qui fut ma marraine, me donnaient à rêver !Toujours à la mode, parfumées…,elles me faisaient indirectement découvrir un monde qui était bien loin du mien….
J’ambitionnais de posséder un jour, ces ongliers fabuleux qui trônaient sur leurs coiffeuses personnelles  avec limes , pinces, ciseaux …suspendus à un arc chromé .
Mon oncle chassait avec un magnifique setter irlandais qui, chaque soir, avait droit à une escapade dans les chemins de campagne proche, une fois la graineterie fermée.
Ma cousine Yvette travaillait à la Société Générale. Rigolote, avec un petit ton de voix pointu,  elle apparaît toute jeune sur les photos de famille : elle sera l’aînée de toutes les petites filles de la famille.

Mon oncle et ma tante possédaient une voiture : un luxe ! Chaque année, ils faisaient le tour de la famille. Ils séjournaient principalement à la maison. C’était alors la fête ! On mettait les petits plats dans les grands , on déjeunait dehors sur la grande table qu’on sortait et habillait d’une nappe ,on sortait…

Une fois , pour Noël ,Yvette est descendue seule :elle devait rejoindre ses cousines de Lesson du même âge qu’elle. Elle m’avait alors offert des décorations pour mon sapin de Noël : boules fragiles , parapluies scintillants , étoiles argentées ….J’en possède encore ! Ce trésor avait tellement métamorphosé mon arbre décoré jusque là d’étoiles de carton  découpées par mes soins et recouvertes de papier aluminium qui emballait les tablettes de chocolat ( je les récupérais précieusement , je les lissais avec application  )…Avec ce même papier , j’emballais des noix et maman me donnait du coton hydrophile que j’éparpillais sur les branches pour simuler la neige  …et aussi pour garnir le sapin .
Annette est devenue institutrice. Elle passa un été à préparer des étiquettes pour l’apprentissage de la lecture dans le futur CP qu’elle gardera toute sa carrière. J’étais interloquée !

Leurs mariages furent de grands moments pour moi. C’était l’expédition familiale , par le train : Thouars, Saumur, Angers  ,Le Mans,  Alençon, Argentan….puis St- Pierre- sur- Dives.
Maman était ravie, papa boudait….la robe longue en taffetas , le costume et le chapeau de papa, le tailleur cintré de maman, son chapeau et ses gants, ses chaussures à talons hauts… tout ça entassé dans les valises en carton.

Yvette s’est mariée avec un fils d’agriculteurs du pays d’Auge, Daniel Gesbert né en 1929 ; Ce ne fut pas du goût de tante Cécile qui avait rêvé d’un meilleur parti pour sa fille. Daniel travaillait au Crédit Lyonnais. Il occupera pour finir un important poste d’inspecteur à Paris et contrôlera les plus grosses agences en France ainsi qu’à l’étranger particulièrement en Afrique.
Ma cousine cessa de travailler à la naissance de ses filles, Catherine en 1955, puis Maryline en 1958. Elle mena aisément une vie de parisienne se nourrissant de Paris-Match, Vogue, Jours de France…et de plats préparés achetés journellement chez le traiteur du coin.
Valérie naîtra bien plus tard en 1969. La blonde Catherine fit des études d’Histoire, travailla au Musée du Louvre, puis passa avec succès, ainsi que son mari, Philippe Canu, né en 1953, le concours de contrôleur des Postes. Ils eurent une fille, Anne-Gaëlle en 1978 et un garçon, Olivier, en 1981.
Divorcée, elle se remaria avec Roger Raso-Serrano, employé à France Télécoms. A cinquante ans elle contracta une sclérose en plaques ; elle suit un traitement efficace qui lui a permis de reprendre partiellement son activité.
Maryline, timide, tavelée de taches de rousseur, fit des études de droit, se maria noblement, divorça 6 mois plus tard…On ne le sut que bien longtemps après ! Elle se remaria aussitôt avec Gabriel Denoix, né en 1957 ; il était chef-comptable. Elle était juriste dans une entreprise. Ils auront 4 filles : Charlotte, en 1984, Constance, en 1986, Eugénie, en 1988, et Victoire en 1992. Elle divorça à nouveau pour partager la vie d’un vétérinaire, Didier Rouzeyrol, né en 1957, lui-même père de 2 filles. Ensemble, ils auront 2 filles, Violette, en 1997 et Eglantine, en 1999. Bilan : 8filles ! Maryline partage, seule maintenant avec elles, un grand appartement à Paris.

Valérie vit à Paris ; elle est conseillère principale à l’A.N.P. E avec son mari, Frédéric Rannou , né en 1964, elle a 4 enfants : Alexane, en 1996, Adrien, en 1997, Bérénice, en 1999, et Léonore, en 2002.

Yvette et Daniel sont revenus s’installer à St-Pierre-sur-Dives, rue du Doué-Vicart dans un joli pavillon qui n’est finalement pas assez grand pour recevoir en même temps, enfants et petits-enfants. Daniel est décédé en novembre 2013.

Annette s’est mariée avec Pierre Querrien dit Pierrot, né en I937. Il était le fils d’un charcutier, bien installé à St- Pierre. Ce fut enfin pour tante Cécile une grande satisfaction ! Sorti de l’école hôtelière de Thonon-les-Bains, il a été steward, puis chef de rang dans un grand hôtel de Caen. Finalement il a occupé le poste de cuisinier du collège proche de la maison qu’ils ont fait construire à St-Pierre, rue des Peupliers.
Annette était tout en douceur, très idéaliste. Elle était très amoureuse de « son Pierrot ».Lui, gentil, mais un peu hâbleur, pouvait chasser plusieurs lièvres à la fois ….sa vie de famille et sa vie extra-familiale...ce qui horrifia la tante et lui fit réviser ses jugements !Il courut les antiquaires, misa dans les courses, crut tenir la fortune en se créant un élevage de boxers qui les cloua dans leur maison définitivement : plus de vacances, plus de voyages, pour soigner les chiens, seulement quelques escapades à Houlgate, sur la côte, dans la villa héritée à la mort des parents de Pierre .
Annette a perdu la vision d’un œil l’ablation d’une tumeur sur le nerf optique.
Ils eurent 2 garçons : Pascal, né en 1961, instituteur, marié à une institutrice Babette avec laquelle il a 4 enfants : Baptiste en 1991, Pauline en 1992, Léa en 1995, Victor en 1998.
Nous les avons rencontrés au printemps 2OOO dans leur école de campagne à une dizaine de km de St-Pierre. Couple très agréable, tendance écolo : ils viennent de construire une maison normande, « verte », de leurs propres mains…aidés par quelques copains. François, très ouvert, souriant, né en 1962, a fait des études de Gestion et d’Economie ; après avoir été consultant dans une entreprise de la région parisienne, il est maintenant gestionnaire d’une agence immobilière, dans l’Eure. Il vit avec son amie, Corinne Garnier, consultante également, maman d’une petite Chloé. Un petit Marius est né en 2OO3.

Dans les années 75, suite à un malentendu savamment orchestré par la jalousie maladive de ma cousine Jeanine, Maman et tante Cécile se sont fâchées. Maman n’a pas revu sa sœur. Quelques heures avant son décès, alors que j’étais couchée près d’elle à l’hôpital, je l’ai entendue réclamer sa sœur Cécile. Je l’ai alors prévenue et elle a assisté aux obsèques de sa sœur. Elle a alors amèrement regretté ses erreurs.

 

En 1908 naquit Paul : premier fils de la famille. Il a gardé toute sa vie ce privilège et s’est octroyé volontiers le rôle de moralisateur , de représentant de l’autorité familiale avec un fort accent du terroir émaillé  de patois .Né à Villiers-en- Plaine, il se maria avec Armance Juin, née en 1913 ;ils se sont installés à St-Rémy, petit village distant de Villiers  d’à peine 4km.Je suis presque certaine que leur plus grand éloignement fut leur  participation à mon mariage, soit quelques 85 km !
Avec leur 4CH, puis leur Aronde,  flambantes neuves, ils allaient de temps à autre au marché à Niort, faisaient quelques visites à la famille proche.

Leur mode de vie reposait sur des valeurs simples : le travail et l’économie. Ils cultivaient leur jardin, élevaient  poules et lapins et exploitaient des terres de façon à profiter des revenus  que pouvait leur apporter un cheptel de 4 à 5 vaches .
N’ayant pas eu d’enfants, ils ont amassé un beau pactole en terres, bâtiments et actions
Un sou étant un sou , je n’ai pas le souvenir du moindre cadeau !

Je suis allée passer des jours de vacances chez eux pour rompre la solitude des 2 mois de congé d’été. Tante Armance, qui claudiquait légèrement, avait elle aussi, un fort accent patoisant .Elle me rôtissait de bons poulets et m’offrait même son morceau préféré qui était aussi le mien : le gésier ! Elle confectionnait des tartes  ,mais à l’époque je n’aimais que les fruits…Heureusement, sa nièce qui venait quelquefois , n’aimait elle que la pâte. Cela tombait bien ! L’oncle Paul n’aurait pas supporter un gaspillage , fut-il petit !Le plus réussi de ses desserts était sans contester sa mousse au chocolat.
Je dormais dans une toute petite chambre, dans un lit de coin,  enfoncée dans une couette moelleuse. Inutile d’essayer de lire au lit : l’ampoule éclairait le minimum et c’était déjà beaucoup !
Souffrant de problèmes cardiaques, l’oncle Paul  est décédé en 1986 à 78 ans. Depuis Tante Armance vit à la maison de retraite d’Echiré , d’où elle était originaire .Leurs biens ont été vendus et en lieu et place, s’élève maintenant un lotissement.

Nous sommes allés régulièrement la voir avec tante Paulette ; elle nous accueillait toujours chaleureusement avec son patois très difficile d’accès pour Serge! A 96 ans, en octobre 2009, elle décède après avoir surmonté 2 ans plus tôt une fracture du col du fémur et quelques mois avant des côtes cassées. C’était une spécialiste du point de croix et brodait sans relâche des m2 de canevas !!

 

En 1910 , naît  Louisqui est resté célibataire. Il a travaillé à la ferme des parents tout pendant que c’était possible. Affligé d’une légère déficience intellectuelle, il a intégré par la suite l’hospice de Bressuire puis celui de la Roche-sur-Yon où il est décédé en 1985, à l’âge de 75 ans.
Je l’ai bien connu quand nous avons habité la ferme de Georgeon à la suite des ennuis de santé de mon grand-père. Je crois même avoir le souvenir de tentatives de gentillesses trop appuyées ; mais la surveillance très vigilante de Maman m’a extirpée très violemment un jour d’une grange avant que ne se produise l’irréparable.

Maman se plaisait à raconter qu’il était moins simple d’esprit qu’il le paraissait. Ne supportant pas l’armée qu’il avait dû rejoindre pour effectuer « ses classes », il s’était fait passer pour sourd. Il avait su, disait-il, repérer les pièges qu’on lui tendait pour vérifier sa prétendue infirmité. Affecté aux cuisines, on s’ingéniait à faire tomber derrière lui, marmites fracassantes, casseroles métalliques…Il ne s’est jamais retourné … a vite été jugé inapte et il a été réformé !
Il est enterré au cimetière de Villiers-en –Plaine à côté de ses parents.

 

Georges est né en 1912, toujours à Villiers, dans la ferme des Ardillets. C’est le 4ème enfant en 6 ans de mariage. Il travaille lui aussi à la ferme. Il se marie avec Jeanne Nicolas, de 8 ans plus jeune que lui.
Je les ai en mémoire dans une petite maison à Mauzé-Thouarsais, pas très loin de celle de mon grand-père paternel. La maison ne comptait qu’une seule pièce principale, pauvrement meublée. Moi qui étais fille unique, j’étais ahurie de voir mes nombreux cousins dormir à 4 dans un même lit (2 côté tête de lit, 2 côté pied de lit).
Maman apportait souvent des lots de vêtements, du linge, de la vaisselle… et sa déception était toujours grande de voir qu’aucun souci ne semblait affecter la tante malgré le dénuement dans lequel ils vivaient. Une fois maman fut très en colère : la tante Jeanne, ayant jugé démodés les meubles hérités de la ferme de Georgeon à la mort des grands-parents, en avait fait un grand feu dans la cheminée !
L’oncle Georges était ouvrier agricole, très peu payé. Chaque mois, ils percevaient de substantielles allocations familiales qui étaient immédiatement englouties dans le remboursement des dettes et dans des confiseries, des gâteaux généreux…jusqu’à épuisement…c’est à dire 2 à 3 jours après Et le cycle du crédit reprenait alors. Finalement, les services sociaux prirent la décision de les mettre sous tutelle financière.

L’oncle Georges était un concentré de gentillesse, toujours souriant, un peu en dehors de la réalité qui l’entourait. Ils eurent 11 enfants et tante Jeanne d’ailleurs mourut en 1962, à 42 ans, après avoir perdu ses jumelles, Geneviève et Thérèse, décédées en 1955, après avoir vécu respectivement ,1 mois et 4 mois. Les 9 autres enfants, encore relativement jeunes, ont alors été accueillis dans la famille ou placés par la DASS. L’oncle George, complètement
désemparé, finit ses jours à l’hospice d’Angers en 1982.

L’aîné des enfants fut Bernard, né en 1941.Devenu facteur à la poste de Thouars , il s’est marié avec Mariette Jousset de Tourtenay ,née en 1946.Ils firent construire une maison sur un terrain appartenant aux parents de Mariette et n’en bougeront plus :leur seul long voyage fut un bref séjour dans la famille du Calvados ; ils descendaient assez fréquemment voir tante Paulette…sinon leurs sorties étaient des sorties de voisinage ,agrémentées par la traditionnelle virée au bal du dimanche dans les villages alentour !Ils ont eu 3 filles et un garçon :Christine ,Sylvette, Thierry et Francine et sont grands-parents maintenant. Bernard est décédé en mars 2009.

Monique est née la même année que moi, en 1942. Comme son frère Bernard, elle était très souriante, comme leurs parents d’ailleurs. Elle s’est mariée, relativement jeune, avec Jacky Baudu et ils se sont installés près de Thouars, près d’un étang, la Ballastière, endroit que je connaissais bien pour y être assez souvent allée danser les dimanches après-midi sous un chapiteau installé là à demeure…Ils ont eu 7 enfants que je ne connais pas : Joël, Béatrice, Nathalie, Patrick, Laurent, Jacques, Nadège. Je crois qu’une des filles souffre d’un gros handicap (dixit Tante Paulette)

Vient ensuite Marie-Claude née en 1943, pas vraiment gâtée par la nature, autant que je m’en souvienne et son devenir m’est resté assez obscur. Elle est restée célibataire après quelques tristes aventures.

Gilles est né en 1945. Après le décès de Tante Jeanne, il est allé aider l’oncle Raoul aux travaux de la ferme. Avec sa femme Suzanne, ils ont eu 3 enfants : Christelle, Christophe, de venu cuisinier, puis Karine, infirmière. Gilles a beaucoup investi son maigre salaire d’ouvrier dans les bars et maman, là encore, s’est ingéniée à trouver, récupérer çà et là, vêtements et meubles, pour les aider. Gilles est décédé en 1999.

Daniel est né en 1947.Placé dans une ferme à Mauzé-Thouarsais, il a passé sa jeunesse sous les ailes protectrices de tuteurs providentiels. Quand ceux-ci disparurent, sa faiblesse de caractère ne l’aida pas à trouver un travail stable. Marié à Bernadette Roy, il a eu 4 enfants : Jérôme, Sylvie, Frédéric, et Nelly. Quand on a déménagé ou plutôt vidé la maison de St-Jean, j’ai pris contact avec lui pour qu’il vienne chercher ce qui pouvait l’intéresser.
Malheureusement, j’ai appris plus tard que la chambre à coucher de mes parents n’avait jamais été installée…trop fatigant semble-t-il. Grâce à l’intervention de Tante Paulette, une autre petite cousine en a profité.

Jacqueline est née en 1948. Son destin a été terrible. Elle avait été placée, dans une famille d’accueil, comme certains de ses autres frères et sœurs. Elle participait aux travaux de la ferme bien entendu, et un jour on l’envoya mettre le feu à un tas d’immondices qui étaient accumulées dans un petit cabanon : c’était l’habitude. Elle commit l’erreur, pour allumer le feu, de verser de l’essence. L’embrasement fut violent et dramatique. Jacqueline fut transformée en torche vivante. Elle fut transportée, par hélicoptère, au centre des grands brûlés de Bordeaux où elle survécut 3 semaines. C’était en 1965 ; elle avait 17 ans. Maman, qui était allée à Bordeaux, avait été très marquée par les atroces douleurs qui frappent les grands brûlés. Elle se sentait aussi coupable ; elle avait voulu accueillir Jacqueline à la maison après la disparition de sa mère, mais papa avait reculé.

Bernadette est née en 1951.Elle fut accueillie, par une famille à Ardin près de Villiers. La « mémé » l’adopta et en fit son héritière. Elle se maria avec Bernard Granger. Ils étaient fonctionnaires des télécommunications. Ils se sont séparés après de tumultueuses tergiversations ! Ils ont eu 2 garçons : Nicolas, en 1975 et Alexandre, en 1981. Nicolas, devenu Commercial, vit à Bordeaux avec sa compagne, Karine Ordonneau, déjà maman d’une petite Alexia. Cléa est leur bébé, née en 2001.Il a divorcé, s’est remarié, a eu 2 garçons et ne voit plus Bernadette.
Alexandre a poursuivi des études d’architecture, à Nantes. Il s’est adonné à la photographie par passion …et par besoin ! Plusieurs de ses images ornent nos chambres.
Bernadette est toujours volubile un vrai moulin à paroles ! Elle a mal vécu son divorce et a partagé quelques années sa vie avec Alexandre. Elle a acheté une maison, près d’Angers, à Avrillé.
Des années après, elle a trouvé un nouveau compagnon, Michel. Alexandre a fini ses études d’architecte-urbaniste et vit avec Maud professeur des écoles. En 2012, nait Juliette. En 2014 nait Paul.

Jean et Claude sont jumeaux, nés en 1953. Ils ont été placés tous les deux, chez la sœur de la « Mémé » de Bernadette, à Ardin, où ils habitent toujours.

Jean est resté célibataire ; c’était semble-t-il un souhait de ses tuteurs qui ont pu ainsi le garder auprès d’eux dans une maison voisine qu’il s’est fait construire. Il est employé municipal et semble avoir gagné la sympathie et l’estime des habitants du village.

Claude, ouvrier, est marié avec Claudie Nivel. Ils ont 2 enfants, David et Isabelle. Maman allait souvent leur rendre visite ; moi, je ne les connais pas en tant qu’adultes. Nos espaces de vie se sont trop éloignés, la famille est trop grande et nous n’avons que très peu de souvenirs en commun. Claudie est décédée en 2015.

 

Gaston est le 5ème enfant, né bien entendu à la ferme des Ardillets, en 1914. Il s’est marié avec Renée Létard, une toute petite femme, dont le physique était assez ingrat. C’est à l’occasion de son mariage qu’il quittera la ferme de Georgeon où il travaillait avec le grandpère. Ce sera le même scénario pour tous les enfants Boussereau !

Ils auront 8 enfants. Ils habitaient à Fontenay près de Mauzé-Thouarsais, à proximité de la carrière où mon oncle était employé. Plus tard, ils sont allés habiter à Argenton l’Eglise, près d’une usine qui fabriquait des éléments en fibrociment ; c’est là qu’ils ont fini leurs jours et que, quelques-uns de leurs enfants se sont établis.

La tante manquait quelque peu de morale mais la gentillesse de l’oncle Gaston ?…ou bien son aveuglement. ? a gommé ses écarts de conduite. L’oncle chassa une fois, le curé de la paroisse, entrain de prêcher d’une façon pas très catholique…dans la cuisine de la tante ! Un exemple, entre autres !

Annick fut leur 1ère fille en 1943. Elle se découvrit une vocation religieuse et voulut devenir nonne. Les épreuves de la vie monacale l’ont fait réfléchir et elle abandonna cette idée…la veille de sa prise de voile. J’ai souvenir de l’incrédulité dans laquelle me plongeait ses décisions. ! J’avais le même âge qu’elle, mais pas du tout les mêmes visées ! Finalement elle se mariera 2 fois : d’abord avec Robert Penaud. Ils auront 5 enfants : Pascal en 1962, Patricia en 1964, Florence en 1967, Laurent en 1969 et Richard en 1970.Puis elle a épousé Robert Diguet, beaucoup plus âgé qu’elle ; ils auront 2 enfants : Magali en 1973 et Rudy en 1980 qui est malheureusement décédé en 1992. Elle a gardé ses convictions religieuses car elle s’occupe activement de l’église et de la cure, maintenant qu’elle est veuve.
J’ai eu l’occasion de rencontrer sa fille Magali qui est secrétaire à Paris. Nous avions bien sympathisé.

Ensuite naquit Nicole qui s’est mariée avec Jacky Moribot. Ils ont 2 enfants, Nadège née en 1973 et Cédric. Il semble que le couple s’embourbe dans une situation assez singulière : le mari aurait des penchants homosexuels et son compagnon vivrait avec eux…Un ménage à trois, à Périgueux.

Le 1er garçon fut Jean. Il habite Thouars avec sa femme Micheline et leur fille Sandrine. Ils travaillent aux champignonnières. L’acquisition d’un terrain au bord de l’eau permet à toute la famille de se réunir tous les ans au complet. Chacun apporte des victuailles et les partage avec les frères et sœurs. Quand l’oncle Gaston se trouvait à la résidence des personnes âgées d’Argenton-l’Eglise, le rituel était le même, au restaurant cette fois.

Ginette, elle vit à Echiré près de la résidence de tante Paulette. Avec son mari, Roland Poirier, ancien chef de chantier, ils répondent aux appels de la tante quand cette dernière a besoin de quelques courses. Elle accueille des enfants de la Dass. Ils ont eu 3 garçons : Stéphane, Sébastien et Mickael. Les 2 premiers sont déjà en couple voire parents ; pour Mickaël, le destin n’a pas été très tendre. Alors qu’il faisait du vélo, encore bien jeune, devant chez lui, une voiture l’a violemment percuté. Il s’est réveillé de son coma, très lourdement handicapé. Il séjourne dans un établissement spécialisé et retrouve ses parents chaque week-end.

Roselyne s’est mariée avec Bernard Wallègue. Ils tenaient un bar-tabac à Argenton-l’Eglise. Ils ont eu 2 filles Katia et Virginie. Le couple s’est séparé.

Colette, qui était ma filleule, a épousé Didier Allard. Ils ont un garçon, Kenji. Ils habitent Cholet où ils travaillent dans les usines Michelin.

Bérangère a épousé Bernard Arsène. Ils ont eu 2 filles, Nelly et Carole. Ils habitent Rennes.

Philippe était le 2ème garçon de cette fratrie. Il était resté célibataire et travaillait à la fabrique de fibrociment avec son père. Il est décédé à l’âge de 32 ans.

 

Maurice est né en 1916 à la ferme des Ardillets comme tous les autres. C’est le 6ème enfant en 10 ans de mariage (il y a eu pratiquement une naissance tous les 2ans excepté pour le dernier, Marcel.)

Il a lui aussi travaillé à la ferme des parents jusqu’à son mariage avec Henriette Thibaud née en 1921. Maman me parlait souvent de son amour pour la danse et de ses talents de danseur. Elle sortait avec lui tous les dimanches soir pour aller « guincher » sous des chapiteaux installés dans les villages alentours. Le grand-père les laissait aller à condition, qu’à 5h30, ils soient actifs à l’ouvrage, c’est à dire prêts à s’occuper des bêtes. Il leur arrivait souvent d’avoir juste le temps de troquer l’habit du dimanche pour les vêtements de travail !
C’est ainsi, paraît-il, que l’oncle Maurice, piqua une pleurésie. Après une soirée de danses effrénées, il avait fallu pédaler à fond de train pour être à l’heure aux culs des vaches. L’air vif sur une chemise trempée avait eu raison de la robustesse de l’oncle !!

Ils ont eu une fille unique, Jeanine, en 1938. Nous avions, elle et moi, peu d’atomes crochus ! Elle était facilement moqueuse, peu prêteuse et je n’ai pas de souvenir agréable de moments passés ensemble. Pourtant nous allions souvent leur rendre visite dans leur petite exploitation à Chassigny, près d’Arcay, non loin de Loudun, dans la Vienne.

La tante élevait des chèvres et l’oncle Maurice ne manquait jamais d’aller en traire une pour m’offrir une tasse de lait fumant. J’adorais le goût « corsé » du lait de chèvres. Ils élevaient des cochons et mes parents avaient l’habitude, chaque année de leur en acheter une moitié. C’était lui qui alors préparait le jambon. C’était la pièce maîtresse parmi toutes les cochonnailles travaillées et il ne fallait absolument pas le rater : c’était aussi une question d’économie ! Les boudins frais me font encore saliver…Plus tard, quand je serai à LandePetite, mon oncle m’enverra des colis de boudins frais à chaque abattage qu’il opérait !

Jeanine était employée des PTT. Quand nous habitions à Lande-Petite, l’abonnement téléphonique était encore un luxe. De son bureau de poste, Jeanine appelait Maman à la « COOP » de St-Jean-de-Thouars (qui était équipée d’un téléphone !) puis m’appelait ensuite par le biais des voisins, M. et Mme Lebreton, qui eux aussi étaient équipés grâce à leur bar et leur station-service. Et là, elle opérait une connexion magique qui nous permettait de papoter à trois d’abord, puis maman et moi pouvions ensuite converser un peu…gracieusement ! Jeanine s’est mariée très tard. Je ne connais pas son mari, Maurice Marquez, chef de chantier. Ils n’ont pas eu d’enfant. Ils s’étaient établis dans la maison de la grand-mère Thibaud qu’ils avaient rénovée. Ainsi ils restaient vivre à côté des parents et partageaient la même cour. Jeanine est décédée en 1989 à 51 ans d’un cancer.

Ses intrigues malveillantes avaient eu pour conséquence de brouiller tante Cécile et Maman. Ce fut pour Maman un drame. Je les ai croisés tous les trois, un jour de fin décembre, quand Maman était à l’hôpital. C’était dans la rue commerçante de Thouars. Tante Henriette et Jeanine ont fait semblant de ne pas me voir. L’oncle Maurice m’a fait un clin d’œil. Je lui en ai beaucoup voulu de ne pas avoir pu se soustraire à la domination de « ses femmes ». Lui, était drôle, avec le sourire des « Boussereau » ; il est décédé en 1992, d’un cancer du colon. Je ne les ai jamais revus. La tante Henriette est décédée le 9 mai 2015.


Deux ans après la naissance de l’oncle Maurice, naissait maman, le 9 juillet 1918, aux Ardillets. C’était la septième enfant, mais la 2ème fille. Elle m’a beaucoup parlé de son enfance, difficile économiquement mais chaleureuse grâce à la douceur de sa mère ; mon grand-père était sévère avec ses enfants, exigeait du travail et de l’obéissance ; mais il ne les a jamais maltraités. Il « présidait » la table et personne ne bronchait pendant les repas. Quand il fermait son couteau, tout le monde se levait de table ! Maman a souvent bénéficié d’un régime de faveur ; elle était sa préférée ce qui expliquera plus tard, l’aide que mes parents lui ont apporté à Georgeon quand il a eu des ennuis de santé, ainsi que sa fin de vie à la maison. C’est Maman qui le soignera, lui fera ses piqûres régulièrement et supportera ses derniers caprices !

Maman n’a fréquenté l’école que 2 ans, ce qui lui a permis d’apprendre à lire, écrire et compter correctement. Et pour gagner ses collations du matin et de l’après-midi, avant et après les classes, elle courait dans une ferme voisine, pour surveiller son troupeau de vaches. Elle prétendait ne pas aimer le fromage, dégoûtée qu’elle avait été par sa fréquence abusive dans ses casse-croûte.

Elle n’avait que 2 paires de galoches, comme ses frères…une paire pour le dimanche, et l’autre pour la semaine. Elle devait les tenir très propres et les encaustiquait avec la suie de la cheminée…Plus tard elle coudra ses robes, manteaux, vestes …Elle aussi aimait danser et elle courait les bals chaque semaine avec Maurice, Raoul puis Paulette. Elle aimait chanter et je lui dois tout un répertoire de chansons anciennes. Elles ont, avec tante Paulette, bien vécu, leur jeunesse ...dixit tante Paulette !

Je ne sais pas comment elle a connu Papa. A l’époque, la famille Touche habitait une ferme, au lieu-dit, les Epoix, non loin de la ferme de Georgeon. Ils se sont mariés, le 6 décembre 1941, un jour bien enneigé. La ferme de Georgeon dépendait de la petite commune de Luzay dont elle était éloignée de 3km environ. Le cortège nuptial a donc parcouru le chemin couvert de neige, Annette pleurant de froid, dans sa petite tenue de fête…

A la mort de Maman, quand j’ai feuilleté le livret de famille, j’ai réalisé la précocité de ma naissance, le 27 mai 1942. Personne ne m’avait jamais fait part de cette « anomalie » ! J’ai pu, à 40 ans, relativiser et comprendre les trop nombreuses mises en garde parentales qui avaient émaillé mon adolescence et ma jeunesse et qui m’avaient agacée au plus haut point ! Tante Paulette que j’ai questionnée depuis, a témoigné du courroux de mon grand-père, qui avait consigné maman plusieurs jours dans sa chambre avant d’accepter…ma conception inopinée !!

C’est grâce aux bons soins d’une sage-femme que je suis née à la ferme de Georgeon, le 27 mai 1942, en pleine guerre. Je sais maintenant, après l’analyse d’un épisode douloureux de ma thérapie, confirmée par des confidences de Tante Paulette, que ma naissance ne fut pas facile. Papa partit, comme il se doit, enregistrer ma naissance à la mairie de Luzay, sous les prénoms de Annick, Josiane, Georgette. Or, je fus enregistrée : Josiane, Annick, Georgette…Troublante inversion ! Traduisait-elle l’affirmation d’un choix qui n’avait pas pu se discuter à deux ? Etait-ce les prémices du climat familial futur ? Ou une simple erreur due à l’émotion ?

Maman n’a pas eu une vie facile. Matériellement, la vie des familles nombreuses était abrupte ! Pas d’allocations familiales, pas d’aides pour les études, pas de prêt « à taux zéro », pas de …c’était la survie journalière. Il fallait travailler tôt, ruser quand c’était possible…Elle travaillera durement toute sa vie, jusqu’au bout : travail à la ferme, surveillance des passages à niveau, gérance d’un petit café de village (à St-Jean sur Thouars), ménages chez des particuliers, aide maternelle à domicile…Mais elle avait l’énergie et la volonté de s’en sortir, une sorte de revanche sur le sort, bien minime !

C’est ainsi qu’elle profitera de l’opportunité d’une belle salle parquetée adjacente au café pour y organiser tous les 15 jours un bal que fréquentaient beaucoup de Thouarsais alentour. Cette salle était aussi équipée d’un magnifique billard. Je m’y essayais souvent et comme les « pro » je préparais mes quilles en frottant les extrémités avec une sorte de craie bleue qui me tachait tous les doigts…

Elle profitera aussi de ce lieu pour y réussir de somptueux banquets comme celui des maires du canton par exemple : elle louait la vaisselle, le linge, embauchait une cuisinière et sollicitait toutes les bonnes volontés pour un coup de main, pour le ramassage des escargots par exemple…Elle n’optait jamais pour la simplicité des menus !C’est elle qui m’a, à ces occasions, appris à danser, domaine où elle excellait ; j’avais droit, ces soirs là, à la permission de minuit, ensuite au lit, où je m’endormais avec les flonflons de l’accordéon tout proches .

Papa n’aimait pas toutes ces manifestations, n’aimait pas la promiscuité avec les clients du café ; c’est pourquoi ils abandonneront le café pour acheter, avec un petit héritage au décès de mon arrière-grand-mère, la maison de St-Jean. Maman regrettera beaucoup son café, les rencontres avec les clients, les bavardages, les plaisanteries et le bénéfice de ses « extras ». Elle le reprochera sans cesse à mon père…Ensuite ? C’est une longue histoire…se référer à « Mes décennies »

 

Raoul est né en 1920 , aux Ardillets , comme tous les autres . Il est le 8ème enfant , le 6ème garçon…Mes grands-parents  sont mariés depuis 14 ans et ma grand-mère n’a que 33ans…Il est robuste, jovial ..il travaillera à la ferme paternelle jusqu’à son mariage avec Lucie Maurin ,née en 1923. Il fréquentait les bals du dimanche avec ses sœurs ,Georgette et Paulette , et son frère Maurice .Une fois mariés , Lucie et Raoul sont partis  se louer à l’année chez de riches propriétaires terriens  pour lesquels ils entretenaient château et terres en échange de gages et d’un toit .Mais Lucie n’était  pas des plus « affairée » …Ils ont changé souvent de « maîtres »  , ont finalement réintégré leur Poitou natal  et se sont installés à Chénéché dans la Vienne. Ils  n’eurent qu’une fille , Arlette née en 1946  .Ils ont alors exploité une petite « borderie » , ont accueilli quelques années , Gilles , après le décès de Jeanne , sa maman et se  sont retirés à Latillé (86) ,là où Arlette  et Guy Morineau  se sont installés garagiste  peu après leur mariage. J’aimais bien aller rendre visite à mon oncle Raoul .On était accueilli avec un plaisir jamais dissimulé , un large sourire ,d’aimables taquineries…pourvu qu’on ne s’incrustât pas trop , tante Lucie étant très vite débordée à l’idée d’avoir à assumer des couverts supplémentaires !      Il affichait des penchants politiques à gauche , était un « supporter » de François Mitterand et fut fortement …déçu.
Nous n’avons eu que peu d’occasions de nous fréquenter Arlette et moi .Quand nous étions petites , nos parents  ne possédaient pas de véhicule et les distances géographiques n’avaient pas les mêmes  « dimensions ». De plus Arlette était assez timide .Son mariage avec Guy n’arrangea pas les choses : il était aussi effacé qu’elle et leur activité professionnelle ensuite les a cloués à Latillé . Guy a été le garagiste attitré de tante Paulette :il lui a longtemps bichonné sa R5  ,  si bien que j’en profite encore !
Guy et Arlette ont eu 2 filles : Christelle  , née en 1967 , avec une anomalie cardiaque qu’il a fallu opérer , et Frédérique née en 1971 . Après des études commerciales Christelle a fait , pour ses parents ,  le mariage du siècle , avec Xavier De La Bardonnie , ingénieur, né en 1966 . Malheureusement , leur première fille , prénommée Lucie  ,née  en 1998 , dans le fourgon des pompiers qui se dirigeait vers la maternité, a souffert d’un manque d’oxygénation  qui l’a affligée d’un très lourd handicap . Grâce à des soins constants de massages et de kiné-

sithérapie , elle a récupéré l’usage de ses membres supérieurs  et l’espoir persiste pour ses membres inférieurs . Elle est momentanément soulagée  par un appareillage. Une petite sœur, Juliette, est née en 2OO2.
Frédérique , née en 1971 , est hôtesse de l’air .Ses fiançailles ont été communiquées à tante Paulette , dans le plus grand secret , ce Noël 2004 ! Je ne la connais pas….

Paulette,  née en 1922aux Ardillets, est la 3ème fille. Elle a vécu à Villiers en Plaine jusqu’à l’âge de dix ans puis a suivi les périnégrations de ses parents obligés de louer des fermes ici et là pour subsister et nourrir leur famille nombreuse, une fois la ruine achevée ! Sa mère et elles ont entretenu des relations très affectueuses Elle était traitée comme « la petite dernière » ! Elle fut très proche de sa sœur Georgette, maman, de 4 ans son aînée. Elles sortaient beaucoup ensemble, fréquentaient les mêmes compagnons de bal, de fêtes …se faisaient des confidences sur leurs nombreux flirts…Maman confectionnait les « toilettes » …Tante Paulette m’a confié qu’elles ont « bien vécu leur jeunesse » !

Tante Paulette s’est mariée avec André Bourreau, né en 1919, et qui habitait la ferme voisine de celle de Georgeon, un lieu-dit appelé « La Gruée ». André vivait seul avec sa mère, Ida, son père étant décédé après la guerre 14-18. Ils se sont mariés sans le consentement ni la présence d’Ida qui refusait cette union : ils étaient propriétaires de leur « borderie » et mes grands-parents n’étaient qu’en fermage ; André était fils unique et Paulette était la neuvième d’une grande fratrie ! Mais Ida a bien vite accepté la réalité du couple et leur a apporté de l’aide dans la gestion quotidienne de l’exploitation.

Commence alors une effroyable série de malheurs : leurs deux petits garçons, Jacky né en 1945 et Jean-Marie né en 1946, n’ont vécu que quelques jours. Puis, en 1947, André, que rien n’avait alerté auparavant, est subitement décédé sur le seuil de son étable, probablement à la suite d’un accident cardiaque. Paulette est alors veuve à 25 ans … L’époque, l’état des informations médicales dans le profond des campagnes, les croyances ineptes ont affolé alors Ida et Paulette. Après s’être laissées entraîner dans des domaines paranormaux, elles ont vendu la ferme de La Gruée et sont venues habiter Gourgé (79), proche du pays natal d’Ida

Une dizaine d’années après, Ida a acquis une maison qu’elle a laissée en héritage à tante Paulette. Tante l’a un peu transformée avec l’argent que lui avait légué sa belle –mère à son décès. Elle y est restée jusqu’en 2OOO, date à laquelle elle a rejoint la maison de retraite de Villiers en Plaine suite à une perte de mobilité, consécutive à son opération du genou.

Tante Paulette et sa belle-mère vécurent presque 35 ans ensemble, 35 années de « je t’aime, je te hais « de chantages, de promesses, de conflits, de traintrain...Maman était très malheureuse de voir sa sœur aussi jeune, sacrifier ses plus belles années auprès d’une femme dans laquelle elle n’avait pas confiance. Tante, effectivement, a refusé plusieurs fois les occasions de « refaire sa vie », elle a plus d’une fois manqué des sorties, des évènements familiaux qui demandaient un déplacement : Ida était, paraît-il, très souffrante, bizarrement ! Mais Ida fut correcte et lui laissa de quoi bien vivre ses dernières années.

J’allais souvent en vacances chez elles : ce sont elles qui m’ont initiée au tricot. J’assistais aux offices religieux qu’elles n’auraient manqués sous aucun prétexte comme les séances
d’entretien du mobilier, à l’encaustique et huile de coude, chaque samedi matin… ! Je fus un peu la fille que tante n’a pas eue et c’est à ce titre que je lui dois de me soucier du confort de ses dernières années. Elle est décédée le 26 février 2013 à l’âge de 90 ans Et est enterrée à Villiers-en-Plaine à côté du caveau de ses parents.

Marcel est né en 1929. Ce fut le dixième enfant, sept ans après la naissance de Paulette, alors que toutes les autres naissances s’étaient succédé tous les 2 ans. Grand-mère avait 42 ans !

Et Marcel, suite à un traumatisme neurologique …. Ou une anomalie génétique…ne se développa pas normalement. Un chirurgien parisien, qui avait une résidence de vacances dans les environs, fut consulté et proposa une opération. Opération douteuse ? …Celle-ci échoua. Marcel resta définitivement handicapé moteur, maîtrisant très difficilement ses gestes, incapable de marcher, d’articuler d’une façon audible. Grand-mère s’en est occupé avec un amour décuplé si bien que Marcel n’a pas survécu à son décès en 1948. Il fut alors placé à l’hôpital de Niort et il y mourut en 1949, à l’âge de 20 ans, faute de soins suffisants.

Quand j’étais petite, j’ai beaucoup joué avec ses jeux de construction, ses puzzles…Il aimait feuilleter le grand album de cartes postales qu’avait collectionnées l’oncle Millet, ce qui explique son état actuel

 

J’ai tout à fait conscience d’être  une privilégiée : maman appartenait à une famille dans laquelle les liens parentaux tenaient une grande place. De plus, maman était très bavarde... ! et la télévision n’existant pas encore, les rencontres, les veillées, les mariages, les communions, les baptêmes… étaient autant d’occasions pour évoquer des histoires familiales, pour vivre et se construire des souvenirs, et donc une identité.

 

Du côté paternel, on avait peu l’habitude de s’épancher , de manifester ses sentiments , de se raconter .

Je n’ai pas connu ma grand-mère  , née Alexandrine Geay , en 1882, en 1882, à St-Léger de Montbrun dans le nord des Deux-Sèvres, près de Thouars. Elle est décédée en 1938 des suites gangreneuses d’une morsure de canard, au bras. Papa effectuait alors son service militaire en Tunisie. Une permission exceptionnelle lui fut accordée, mais il ne put assister aux obsèques : le retour en bateau étant à l’époque assez long.

Mon grand-père paternel, patronyme TOUCHE, prénommé Jean, était né en 1880. Où ? A ce jour, je n’ai pas d’élément : dans un accès de colère. ? De démence... ? il a brûlé un jour le précieux livret de famille. Et comme on échangeait peu dans la famille, aucun des petits enfants ne peut actuellement savoir son lieu de naissance ; en tout état de cause, on peut dire dans les Deux-Sèvres, car les gens alors circulaient peu.

Voir les recherches généalogiques effectuées par Jean-Pierre qui a retrouvé depuis de nombreuses preuves d’identité dans les départements de la Vienne, de l’Indre…et même de la Corrèze.

J’ai connu mon grand-père quand il habitait une petite maison, tout au fond d’une cour en pente, située aux Barres de Mauzé-Thouarsais. Il s’occupait d’un grand jardin derrière la maison, élevait des lapins, des poules et des canards, entretenait une petite vigne. Il vivait en total autarcie. L’hiver, une grande cheminée engloutissait d’énormes fagots et quelques bûches mais elle refusait de « tirer » si on n’entrouvrait pas la lourde porte de bois. On s’asseyait alors en cercle autour du foyer, les flammes nous brûlaient les joues et le courant d’air de la porte nous glaçait le dos !

Il portait de belles moustaches bien blanches, à la gauloise, mais souriait si peu ! Il ne parlait pas, il marmonnait, voire ronchonnait…La chasse était un de ses rares plaisirs, et papa a hérité de son fusil que je possède encore ! Je crois pouvoir dire qu’il a hérité aussi de son penchant pour la solitude …
Il sortait d’une poche intérieure de son veston de velours une montre ronde suspendue à une chaîne, son « oignon », et annonçait l’heure en référence au soleil … cela m’intriguait beaucoup !
J’ai gardé son fauteuil de paille à bras. Il ignorait le confort et l’esthétique.

L’oncle Victor et sa femme tante Gilberte ont repris la maison à son décès ; ils l’ont un peu améliorée mais globalement elle a peu changé.
Des actes de démence ont mis sa vie en péril les dernières années. Aussi est-il venu vivre à la maison pendant quelques temps ; ce fut une cohabitation difficile pour lui comme pour nous. Il fallut l’hospitaliser ; il est décédé en 1956 et est inhumé à Mauzé-Thouarsais.

Marcel, mon cousin, m’a donné une photo du couple de mes grands-parents paternels. J’étais très contente de découvrir le visage de cette grand-mère que je n’ai jamais connue et dont personne actuellement ne peut parler. Une visite à la mairie de ST-Léger de Montbrun nous a révélé l’existence d’une sœur, née en 1881, Virginie. Leurs parents, Geay Henri et Moisnard Louise, pourraient être originaires de Puyraveau (près de Thouars) Recherches à suivre …


Le monde paysan a été mon berceau puisque tous mes ascendants ‘jusqu’à mes grandsparents, ont travaillé la terre toute leur vie, soit ils étaient engagés comme simples ouvriers agricoles gagés dans les fermes à l’année, soit ils affermaient des exploitations selon des baux d’une ou plusieurs années souvent renouvelables au 1er novembre. Toute une vie d’économies, de travail, leur a permis d’élever leur nombreuse famille (il n’y avait pas à l’époque l’aide des allocations familiales) et dans le meilleur des cas, d’accumuler un petit magot avec lequel ils ont pu acquérir une petite maison où ils ont pu finir leurs jours. Parmi leurs enfants, seuls mes parents, la tante Cécile, l’oncle Gaston, et sur les dernières années l’oncle Victor, ont quitté le monde agricole.

Mon grand-père paternel avait une sœur, Blanche, qui serait, elle, restée célibataire et qui aurait habité Chinon (49) et un frère, Charles. Si je n’ai pas connu cette grand-tante Blanche, mes parents rendaient souvent visite, à Orbé, près de Thouars, à leur oncle, Charles, marié à Marie-Louise. C’était un fort beau couple et surtout ce grand-oncle, qui, s’il ressemblait physiquement à son frère, avait un caractère totalement opposé. Il arborait de superbes moustaches très blanches qui éclairaient encore davantage un visage souriant, accueillant !

Il était d’usage lors de ces visites dominicales de boire le café et de déboucher une « bonne bouteille » de vin blanc. Pour accompagner ce breuvage plutôt masculin … on offrait aux dames et aux enfants, des « Boudoirs », petits gâteaux secs de forme allongée, très sucrés. Je n’aimais pas beaucoup les gâteaux à l’époque, mais je me réjouissais à l’idée de les tremper dans le vin selon le rite consacré... ! J’installais le boudoir à cheval sur le rebord de la table,à bonne distance (très calculée) du verre, et grâce à une pichenette bien ajustée, je tentais de faire basculer le boudoir dans le verre ! Le nombre de tentatives nécessaires avant l’exploit était censé représenter le nombre d’années qui me séparait du prince charmant... !

Cet oncle Charles a eu 2 filles, Adrienne et Angélique. Adrienne est devenue Mme Simonneau. Ces cousins sont restés cultivateurs à Orbé ainsi que 2 de leurs trois enfants, Marie-Josephe et Jean-Claude. Leur plus jeune fille, toute blonde et bouclée, Huguette, a eu besoin de toute sa vitalité accumulée pendant sa jeunesse pour élever presque seule une famille nombreuse (9 enfants) et supporter un mari ivre mort ,3 jours sur 4. Quant à Angélique, devenue Mme Tonnoir, elle eut 5 enfants dont les paternités furent, disent les mauvaises langues, quelquefois très douteuses… ! C’était cependant un couple très agréable, aimant les fêtes, les sorties …bon vivant !

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Mes grands-parents paternels eurent 7 enfants .

Le 1er , Maurice , est né en 1904 et est décédé en 1919 à l’âge de 15 ans. Le cheval qu’il conduisait à l’abreuvoir s’est brusquement emballé et Maurice qui avait enlacé les rênes fut traîné par l’animal. Il ne survécut pas à ce traumatisme. Mon père avait 2 ans.

Le 2ème fut une fille, Lucie , née en 1906 à Puyraveau. Ma petite tante Lucie, comme je l’appelle encore ! Mariée à Alban Germain, né en 1900, elle a eu 3 enfants, Monique en 1929, Bernard né en1931 et Maurice, appelé Dédé, en 1933.

Je l’ai beaucoup fréquentée quand j’étais petite. Elle habitait une ferme, non loin de l’ancienne gare de St-Jean- de -Thouars, entre la maison que nous habitions près du passage à niveau et l’école. Je m’y arrêtais chaque jour après ma journée d’école et là, elle m’offrait, selon la saison, une grande tartine de fromage blanc frais avec du gros sel ou un bol de fraises et de framboises…Elle m’attendait régulièrement. Du haut d’un petit monticule, au-dessus des fours à chaux, elle guettait ma petite silhouette qui s’avançait sur le chemin. Maman ne pouvait pas quitter le passage à niveau et dès 4 ans, je dus rentrer seule et faire à pied les 2 kilomètres qui me séparaient de l’école. Plus tard un petit voisin, André Vial, m’accompagnera et nous vivrons à deux beaucoup d’aventures ! Inutile de préciser que ce fut mon 1er amour !

Un peu plus tard, lorsque nous avons habité le bourg de St- Jean de -Thouars, j’ai souvent attaché ma petite valise en carton sur mon porte-bagages et je suis partie passer quelques jours chez elle. Pas de « nounou » à l’époque, les vacances étaient longues pour une fille unique dont les parents travaillaient toute la journée !

Je partageais alors la vie paysanne : le matin, je remplissais un seau de grains de blé ou autres et j’allais les disperser dans la cour ; les poules, les coqs, de superbes dindons, une multitude de pintades …se précipitaient vers moi. Ensuite il fallait grimper à une petite échelle pour atteindre les nichoirs des pigeons et y déverser leur ration.

Ma tante avait quelques chèvres et faisait des fromages : elle mettait le lait à cailler dans de grands pots de terre avec de la présure ; quand le « petit lait » s’était formé, elle remplissait des faisselles métalliques percées d’une multitude de petits trous ; le « petit lait » s’en échappait et les fromages s’égouttaient. Quand ceux-ci paraissaient bien égouttés, on renversait les faisselles ; ensuite, c’était une question de goût ! On en dégustait des très frais, qu’on pouvait étaler sur une tartine de gros pain et qu’on saupoudrait de gros sel (le seul qu’on utilisait alors), les autres, on les démoulait et on les mettait à sécher sur des feuilles de platane ou de vigne. Une fois préparés, on les rangeait dans un garde-manger, sorte de petite, toute petite maison grillagée, à 2 étages. On fermait la minuscule porte et on suspendait le tout, soit à une poutre du hangar, dans un endroit bien ventilé, soit quand le temps était très beau, à une branche du magnifique tulipier qui trônait au milieu de la cour et qui offrait une ombre rafraîchissante l’été et une superbe floraison de grosses grappes de fleurs d’un bleu délicat, chaque printemps. La dégustation de ces fromages-ci se faisait en fonction de leur degré de séchage : demi-secs, ils s’enveloppaient d’une peau bleue (je les aime bien ainsi !) Mes cousins les mangeaient très secs : ils se cassaient en plusieurs éclats quand ils prétendaient les entamer avec leur couteau !

J’accompagnais ma cousine Monique, qui , 2 fois par jour, conduisait le troupeau de vaches et les quelques chèvres dans des prés avoisinants. On emportait un immense parapluie vert qu’on ouvrait une fois arrivées et qu’on installait au ras du sol contre le vent, dans un endroit d’où on pouvait surveiller tranquillement les bêtes. Là, ma cousine m’apprenait à broder mes initiales sur mes mouchoirs… ou alors elle dépliait des feuillets ou des petits carnets qui recelaient toutes les dernières chansons à la mode.

Monique était bien plus âgée que moi ; chaque dimanche elle allait danser sous un chapiteau de toile ; aller au bal était le loisir le plus pratiqué à l’époque et c’était à ces occasions que se nouaient la majorité des intrigues amoureuses qui aboutissaient au mariage !

Chaque jour les bêtes rentraient à l’étable ; il fallait attacher leur collier à leur mangeoire et là, mes cousins bourraient leur râtelier de foin, dégageaient le fumier, et répandaient sous chaque bête, une bonne litière de paille blonde odorante. C’était alors l’heure de la traite... .
Je ne participais jamais à celle du matin : je me réveillais quand mes cousins revenaient à la maison pour prendre leur collation de la matinée !
Quelquefois on nourrissait les vaches avec des betteraves que mon oncle avait récoltées ; Il fallait les couper en tranches et j’aimais bien manipuler cette impressionnante lame montée sur une espèce de poutre de bois comme un couteau à pain industriel ; des perles de jus brillaient et glissaient sur les tranches blanc rosé des betteraves ; on emplissait ainsi de grands baquets de bois qu’on déversait ensuite dans les mangeoires

Le long des chemins qui conduisaient aux prés poussaient quelques néfliers ; à l’automne, après que les fruits aient subi une bonne gelée, je fouillais les fossés à la recherche de nèfles bien blètes que j’écrasais ; je dégustais alors la chair molle et parfumée .Chaque fois que j’en vois sur le marché maintenant ,je ne résiste pas ;j’en achète espérant bénéficier de la même magie que celle de la madeleine de Proust…

Ma petite tante Lucie n’a pas eu beaucoup de chance. Son mari, l’oncle Alban était un vrai ours ne sachant que grogner, « gueuler » après ses enfants et sa femme. Quand il était à table, le silence était impressionnant ; mes cousins restaient le nez dans leur assiette de crainte de croiser son regard, ma tante essayait de faire du mieux possible pour ne pas subir des remarques désobligeantes…Quand il quittait la table, la chappe sautait : on pouvait respirer ! Par contre, il était un peu « matuvu » en public et fort « en gueule ». Il est resté fâché avec son beau-frère, l’oncle Alexandre, pendant de longues années à cause d’une queue de maquereau !!! Les rencontres familiales telles que communions, mariages…ont été perturbées à cause de ce différend : ils refusaient de se rencontrer ! Lors du décès du grandpère et du partage de ses biens, chacun était angoissé à l’idée du face à face obligatoire ; on s’attendait au pire…A partir de ce jour, ils sont redevenus amis inséparables, partageant tous les week-end, toutes les festivités jusqu’à leurs derniers jours !

Physiquement, ma petite tante Lucie témoignait de son « calvaire » et ses mains, constamment couvertes d’eczéma traduisaient son mal-être. A la mort de son mari, elle a partagé ses biens et elle s’est retirée dans une petite maison contiguë à celles de ses fils ; elle a cultivé ses fleurs, aidée par mes 2 cousins qui étaient employés à Thouars dans une grande graineterie. Papa lui rendait souvent visite ; ils prenaient le café, faisaient un tour de jardin, se rendaient au cimetière. Quand papa n’a plus conduit, à chaque fois que j’allais le voir, il manifestait son désir de se rendre chez « Lucie », ce que je faisais avec beaucoup de plaisir.
Elle est décédée, le 22.O2.1996, un an avant papa, à l’âge de 90 ans.

Monique, sa fille aînée, née en 1929, s’est mariée après avoir coiffé « les catherinettes » ce qui était considéré à l’époque, comme fort tard ! Après une déconvenue amoureuse, elle a fréquenté (terme très employé à l’époque) Roger Dudoigt, né en I924, habitant le village voisin, St-Jacques. Il avait surtout une superbe traction avant noire, voiture de luxe alors ! Quand il venait chercher Monique, le dimanche, pour aller danser dans un de ces petits bals populaires, sous chapiteau, on les suivait du regard, cachés derrière les rideaux …Ses parents habitaient une grande maison bourgeoise et chacun de penser que l’alliance était fructueuse !! Mais Roger était tout petit …bien plus petit que Monique, ce qui alimenta de nombreuses remarques…
Ils se marièrent donc, eurent un seul fils, Christian, le 23 aout 1958 et habitent la maison familiale rénovée bien sûr. A 8O ans passés, ils ont continué, 2 fois par semaine, à fréquenter les bals pou y aller danser ! Roger est décédé en 2015.
Christian s’est marié avec Laurette Durand née le 12.12.1963 ; ils ont eu une petite Alizé le 11 .08.1988. Ils sont tous les deux postiers du côté du Chateau d’Olonne(85)

Bernard est né le 4.O6.1931 .Il fut mon parrain. Comme son frère, Maurice, dit Dédé , né le 8.1O.1933, il a subi le caractère tyrannique de son père ; il était d’une timidité maladive qui le faisait presque bégayer, un gros handicap pour fréquenter les filles..Il se maria avec Carmen qui était déjà maman d’un petit garçon, Sylvano. Ils eurent 2 filles, Marie-Noëlle et Marie- Christine mariée à François Batais. Bernard mourut à 6O ans en 1991.

Bernard et Dédé habitaient près de leur mère, tante Lucie. A la mort d’Alban, son mari, elle acheta une propriété, tout près de la ferme qu’ils exploitèrent toute leur vie, près de la gare de St-Jean de Thouars. La bâtisse fut partagée en trois : une partie pour Bernard, une autre pour Dédé et la troisième la plus petite pour tante Lucie. Les 2 frères rénovèrent les bâtiments, paysagèrent magnifiquement l’environnement. Ils travaillaient chez un pépiniériste à Thouars qui ne pouvait rêver plus belle vitrine pour son commerce que les merveilleux jardins de ses employés. Une grande piscine vient dernièrement mettre une touche supplémentaire, le tout étant parfaitement entretenu par Sylvano qui a suivi le chemin tracé et qui est pépiniériste à son compte maintenant.

Dédé se maria avec Marie-Françoise David ; ils eurent un fils, Eric, employé des PTT, marié à Sabine. Marie-Françoise fut victime d’un stupide accident. Elle rentrait de Thouars en vélo en s’accrochant à l’épaule de son fils qui conduisait sa mobylette : une économie d’efforts qui lui coûta fort cher. A une centaine de mètres de chez eux, sur le petit chemin qui longe la voie ferrée, la bicyclette roula sur un caillou…Marie-Françoise alla alors percuter un poteau télégraphique ; chute très grave qui entraînera une paralysie d’une moitié du visage. Outre le fait qu’elle ne peut plus s’alimenter que de purées très fines ‘de jus divers, ce qui a occasionné une maigreur saisissante, elle doit composer avec son image dans le miroir, chaque jour.
Pour combler son handicap, elle collectionne à l’excès les mille et une trouvailles qu’elle peut dénicher dans les brocantes. Le décès de tante Lucie, l’éloignement, la timidité de mes 2 cousins font que je n’ai pratiquement plus de liens avec eux.

 

Le  troisième enfant de mes grands-parents paternels fut une fille,  Germaine, née le 2.O8.19O8 à St-Léger de Montbrun (79) Elle se maria avec Alexandre Bébien, né le 23.O2.19O3 à St-Aubin le Cloud(79) ; dans la famille il était courant de dire, que physiquement, je lui ressemblais. Ils étaient cultivateurs et se marièrent à Mauzé-Thouarsais le 11.1O.1927. Ils eurent 7 enfants.

Camille, leur fille aînée, est née le 13 .O7.1928 à Rigné(79). Elle était presque de la génération de mes parents puisqu’elle n’avait que 11 ans de moins que son oncle (Papa). Elle se maria avec Aimé Puchault, né le 22.10.1923 à Ste-Gemme(79).Ils se marièrent le 11.O9 1950 ; Aimé, ouvrier, travaillait à la laiterie de Riblaire.Ils eurent 2 enfants.
Le premier, Claudie né le 19.O4.1955 à Thouars était métallier. Marié à Marie-Christine Cornuault, née le 27.O4.1958 à Poitiers, ils eurent 3 enfants : Willy Puchault né le 25.O6.1978, vendeur, Cathy Puchault, née le 12.O2.1980, mariée avec Cyril Boivin, militaire (ils ont un petit Nathan depuis le 16.12 1999) et Xavier Puchault, né le 13.O7 1981, commercial.
Le deuxième fut une fille, Jacqueline, née le 13. O8.1962 à Thouars. Son mariage avec Jacques Marquet né le 11.O2.1956 à Bressuire défraya la chronique puisque elle épousait son professeur alors qu’elle était collégienne ! Ils eurent 2 filles, Céline et Marie, nées respectivement le 9.11 198O et le 18.O9 .1984. Camille mourut d’un cancer à 54 ans, le 3O.11.1986

Presque 2 ans après la naissance de Camille naissait Andrée, le 13.O3.1930 à Rigné. Très « rigolote », elle épousa Paul Bichot de 9 ans son aîné, né le 3.II.1921, forgeron de métier. Andrée reprendra, le bistrot de sa « belle-maman » et elle s’occupera des 2 toute sa vie !!Ils n’eurent qu’un seul fils « Jojo », né le 29. O4.1953 à Ste- Gemme, c’est à dire à la maison, la grand-maman étant très respectueuse des traditions, très autoritaire !! Et habituée à ne jamais être contredite par son fils chéri « Jojo », très légèrement claudiquant, fut la 8ème merveille du monde ! Il deviendra directeur de banque, se mariera avec Patricia Graveleau, née le 6.O3.1954, puis divorcera.

Renée, troisième fille, est née aussi à Rigné, le 1 .O4.1931, un an plus tard. Elle s’est mariée avec un cultivateur le 19. O4 1952, Humbert Marilleaud né le 2O.O2.1927 à Ste-Gemme. Il possédait, lui aussi, une magnifique traction avant noire.


Marcel fut le 4ème enfant, né le 8.10.1932 à Rigné (79). Il travailla à la ferme paternelle puis rencontra Eliane Renaud née le 2.11.1934 à Tessonnière(79)qui n’avait aucune affinité pour la vie agricole. Après leur mariage ils partirent s’installer à Thouars d’abord.

J’étais alors collégienne puis lycéenne et Eliane, couturière de profession , était plus apte à comprendre mes envies de jupe droite bien serrée , de pantalons fuselés que Lucienne ,notre voisine et couturière habituelle !Maman était très en colère et je dois reconnaître aujourd’hui , qu’elle avait raison :les fentes arrière de mes jupes ne résistaient pas beaucoup à la selle de mon Vélosolex ! Hélas ! Eliane et Marcel élirent domicile à Paris dans le 19ème, Marcel ayant intégré la SNCF et Eliane un poste de vendeuse aux Galeries Lafayette. Pour moi plus de couturière complice ! Mon oncle Alexandre et ma tante Germaine ne comprendront jamais cet « exode » et Eliane est toujours restée en disgrâce à leurs yeux.
Jean-Pierre et moi leur avons souvent rendu visite à Paris dans leur minuscule appartement quand nous allions à la fête de l’Humanité, avec beaucoup de plaisir.

Ils ont eu une fille, Frédérique le 27.6.58 à Thouars. Elle fait des études d’infirmière et exerce à Paris. Mariée à Lionel Ruiz, né à Marseille le 2.10.59, elle aura deux enfants : Julien né le 26.7.83 à Paris et Laetitia née le 24.2.87 à Paris également. Elle se séparera de Lionel, ce dernier étant atteint d’une maladie neurologique incurable.

A leur retraite ils achètent un petit pavillon, rue Ernest Pérochon, à Thouars à 2 pas du lieu de travail de papa. Ils y mènent une retraite active toute dévouée aux malades d’Alzeimer, Nous y recevons un accueil toujours aussi chaleureux que raffiné. Marcel garde en vieillissant son physique de « beau garçon » et surtout une extrême gentillesse qu’Eliane sait parfaitement exploiter !


Jeanne, dite « Jeannette » est la 5ème enfant. Elle est née le 13.12.36 à MauzéThouarsais(79).après une enfance passée à la ferme, comme tous ses frère et sœurs, elle se mariera avec Jean-Claude Bonneau né le 17.03.40 à Luzay (79), mécanicien dans un garage de Thouars.
Très rapidement, ils se lanceront dans l’acquisition d’un garage à Argenton-Château(79) qu’ils exploiteront jusqu’à la retraite jouant les nouveaux riches du bourg, avec jolie maison, s’adonnant à un sport assez couteux mais qui présente bien, le pilotage d’avion…

Ils n’auront qu’un seul fils Thierry, né le 16.11.64 à Thouars et qui travaillera comme agent à France Télécom, marié à Lydia Simon (28.2.63) employée de bureau. Naîtront 2 petites filles : Anastasia le 8.9.88 à Vincennes et Morgane le 8.5.93 à Champigny.

Claudette est la 6ème enfant. Elle est née le 25.3.44 à Luché –Thouarsais. C’est avec elle que j’ai partagé quelques semaines de vacances lorsque j’allais à la ferme de Moulières, l’été, mes parents ayant toujours le souci de me « caser » pendant qu’ils travaillaient.

Ce que j’aimais bien à cette époque, c’était le petit-déjeuner. Je me levais quand les adultes de la ferme avaient déjà soigné le bétail, trait les vaches……et arrivaient pour prendre le cassecroute de la matinée. Je partageais alors la soupe, la charcuterie, le fromage…peut-être qu’est né ici mon penchant pour les petits-déjeuners anglo-saxons !

Claudette s’est mariée avec Marcel Texier (4.3.44), métallurgiste de formation. Plus tard ils s’installeront à Parthenay en prenant la gérance d’un bar. Ils ont eu 2 garçons : Cyril, né l1.8.3.69 à Parthenay, responsable de gestion qui a épousé Sandrine Duballet (26.3.69), employée de banque et Joachim, né le 5.4.72 à Thouars, ingénieur des Eaux. Cyril et Sandrine ont eu un fils, Clément, né le 4.5.97 à Cognac.

J’ai appris que cette tante Germaine avait eu un 7ème enfant, Claude, né en 46, qui n’avait vécu qu’un peu plus d’un mois. Cette tante Germaine, à qui paraît-il je ressemblais beaucoup, a vécu les dernières années de sa vie dans la même maison de retraite que son frère, c'est-à-dire mon père, à SaintVarent(79).

 

Le 4ème enfant de mes grands-parents paternels fut une fille, Alice née en 1909.J’ai découvert son portrait dans le grenier de mes parents. Il avait dû y rester avec le portrait de son frère Maurice depuis la disparition de mon grand-père. J’ai une tendresse naturelle pour ce visage. Me ressemble-il ? Ou est-ce sa destinée tragique qui fait résonnance en moi ? Elle serait décédée en 1923 à l’âge de 14 ans d’une maladie des os.

 

Ensuite est né Lucien en 1914. Victime d’une légère malformation à la naissance, non prise en compte bien sûr à cette époque où la Sécurité sociale n’existait pas, il claudiquera toute sa vie. Est-ce pour cela qu’il restera célibataire et qu’il aura tendance à combler sa solitude par la « divine bouteille » ? Ouvrier agricole, gagé de ferme en ferme, d’année en année, il a habité, à la fin de sa vie dans une ravissante bicoque, propriété d’un Parisien, pour le compte duquel, en échange, il entretenait le jardin. Cette demeure était située au bord de l’eau, à Volbine, à une dizaine de Kilomètres de chez mes parents

A cet endroit de gros blocs de rochers encombraient le petit cours d’eau provoquant de petites cascades…L’endroit était, tout au moins dans mon souvenir, paradisiaque ! A l’adolescence, avec mes « copines » nous y organisions de joyeux pique-nique en vélo agrémentés de baignades. Nos cris de plaisir attiraient bien sur l’oncle Lucien, tout content d’être pour un instant, tiré de sa solitude. L’oncle Lucien avait une corde à son arc : il chantait fort bien et il jouait le « bel canto » à toutes les cérémonies familiales !



Mon père fut le 6ème enfant, né le 24 juin 1917, pendant la guerre. Mes 2 grands-parents ont échappé à la grande tuerie puisqu’ils étaient soutiens de familles nombreuses.

Mon père parlait très peu, surtout à la maison. Je n’ai de mon enfance aucun souvenir prégnant à partager avec lui. Ma mère occupait-elle trop l’espace, de part sa volubilité, de part sa grande sollicitude à mon égard ? Son enfance à lui, vu le caractère de son père, avait dû être rude et surtout réduite, d’un point de vue affective, à sa plus simple expression. Je me suis toujours demandé quelle opportunité avait pu les rapprocher, maman et lui !

Ouvrier agricole, chauffeur de très gros poids lourds dans une scierie, carrier, magasinier-chauffeur dans une entreprise de sanitaires, maison « Moy » Partout il fut reconnu comme un employé modèle, assidu, précis, fiable, n’affrontant jamais le patron…Un des sujets de conflit entre mes parents était les demandes d’augmentation de salaire que ma mère jugeait indispensables et justifiées et que mon père n’osait pas réclamer.

L’été, mon père profitait des congés de l’entreprise pour se faire engager par un entrepreneur du village qui faisait les moissons. Pendant 3 semaines, du petit matin au soir très tard, il conduisait les énormes moissonneuses-batteuses. L’hiver, il passait ses week-ends dans les bois. La vie était rude et il fallait tirer profit de tout ; ainsi il entretenait des bois pour un propriétaire, lequel en échange du travail lui donnait la moitié du bois coupé ; c’était un chapitre de dépenses soulagé.

La période de la chasse, à partir de l’automne, occupait mon père tous les dimanches. C’était l’évènement de l’année attendu ! Il fallait acheter le permis de chasse annuel. Commençaient alors d’âpres discussions entre mes parents. Maman, la comptable du foyer, était effrayée par le coût du permis et des munitions. Papa argumentait, comme il pouvait, du bénéfice récupéré, étant donné, je le dis très fièrement, qu’il était reconnu comme « le meilleur fusil » du village !

Pour réduire les frais, papa achetait tout le nécessaire et fabriquait lui-même ses cartouches. Il occupait alors toute la surface de la table de la cuisine avec les sachets de poudre, la grenaille, les douilles, les cartouches vides aux différentes couleurs et tous les petits instruments qui permettaient les dosages appropriés : chaque type de gibier « méritait » son type de cartouche ! Une fois le petit bouchon de liège serti, papa garnissait, méthodiquement sa cartouchière, celle qui le ceinturerait le lendemain au petit matin.

Le retour du chasseur était très attendu. Le lièvre était le gibier royal ! Ses longues pattes dépassaient de la gibecière et quand il côtoyait les riches plumes d’un faisan, le sourire du chasseur et de ma mère était assuré ; mais le plus souvent, mon père rentrait avec une carnassière débordante de perdreaux ou perdrix, de pigeons, de lapins…Ma mère composait déjà mentalement les menus : des choux bien rissolés dans le jus des perdreaux, des petits pois pour accompagner les pigeons, le lièvre bien mijoté dans une sauce au vin…mais attention aux dents qui souffraient de la rencontre avec les plombs fichés profondément dans la chair !!

L’été, la pêche succédait à la chasse. Les bords du Thouet n’étaient pas loin et la solitude des petits matins brumeux au bord de l’eau plaisait particulièrement à mon père. Pour ça aussi la préparation était méticuleuse : vérifier l’état des cannes à pêche, des fils, des bouchons…creuser dans les bons endroits pour déterrer les vers de terre qui servaient d’appât …cuire des pommes de terre avec des grains de blé pour « ensemencer » copieusement la portion de la rivière que papa essaierait de piller le plus possible le lendemain ! Le tout bien ficelé sur le vélo et à l’aube, le départ !

Maman et moi, quand le dimanche s’annonçait être une belle journée, rejoignions mon père et apportions le pique-nique. C’était une vraie expédition ! Les sacoches des vélos étaient pleines à craquer, du « frichti » bien sûr mais aussi de la couture, de la lecture, de la couverture pour s’étaler au bord de l’eau, des jeux…et aussi de mon maillot de bain !

L’après-midi, quand la pêche était moins fructueuse, on choisissait un petit coin où la rivière était peu profonde, l’eau assez claire ; on enfilait les maillots de bain (parfois tricotés !) et on se glissait dans l’eau. C’est là que j’ai appris toute seule à patauger, à flotter et à nager…enfin presque ! La crainte d’une rencontre avec une vipère d’eau m’effrayait bien, mais le plaisir était plus grand. Le « on » est un peu excessif car maman a toujours prétendu étouffer lorsque le niveau de l’eau dépassait le haut des cuisses !!!

Ces jours-là, mes parents et moi passions de bons moments, partagés, parfois avec des voisins, une partie de palets clôturant l’après-midi. De retour à la maison , chacun s’activait pour nettoyer les poissons, en général des gardons, des ablettes, des petites perches… les écailler, les vider (j’avais le privilège de faire éclater avec une petite pierre la vessie natatoire transparente et irisée)…allumer le petit poêle extérieur et faire frire le produit de la pêche ( maman détestait l’odeur de la friture à l’intérieur de la maison)…Parsemés d’ail et de persil haché, les petits poissons étaient délicieux et rendaient la journée plus délicieuse encore !

La chasse et la pêche plaisaient particulièrement à mon père. Hormis le côté lucratif de l’occupation, mon père appréciait le calme, le silence, la pleine nature, la solitude. Quand, quelques semaines avant le décès de maman, j’ai essayé de le préparer à sa fin de vie, il fut bouleversé ; il avait refusé d’imaginer l’inimaginable. A mes arguments qui voulaient lui rappeler qu’il avait toujours recherché la solitude, il m’a rétorqué que cette solitude n’était appréciable qu’à cause de l’exubérance de maman qui chantait si souvent et riait avec tant de bonheur…

L’oncle Victor fut le 7ème et dernier enfant, né le 22/11/1921 ; j’assisterai à son mariage le 5/04/1947 avec Gilberte Chesseron de Mauzé-Thouarsais(79) née le 5/03/1922. J’avais 5 ans, une robe longue bleue à petits volants et j’étais toute bouclée !

C’était un couple atypique ! Comment ma tante Gilberte, un condensé de gentillesse, d’amour des autres, de sourires avait-elle pu rencontrer et accepter de se marier avec cet homme, qui lui, était la copie de son père : bougon, peu bavard, introverti, assez rustre ‘un éternel mégot de cigarette aux lèvres ?
A la fin de sa vie, je l’ai découvert plus avenant, ouvert aux autres ; avec recul je pense qu’il lui a fallu toutes ces longues années après la mort de son père pour renier l’héritage de l’humeur paternelle.

Ouvriers agricoles tous les deux, ils entretiendront une maison de « maitre », à St-Jacques de Thouars et galèreront un certain nombre d’années pour élever leurs 3 garçons : Bernard né le13/04/1948, Jean-Paul né le 9/05/1949 et Christian, né le 9/10/1954 dont je suis la marraine.

Nous habitions à 2/3 kilomètres de chez eux et nous allions assez souvent leur rendre visite le dimanche après-midi. La pièce de vie était rarement rangée, la vaisselle trainait, et le ménage restait toujours à faire…Mais quand la tante, au moment où mes parents annonçaient leur retour, nous proposait de rester casser la croûte à la fortune du pot, j’espérais toujours que mes parents acceptent !la rupture d’un quotidien ?la chaleur de la tante Gilberte ?le plaisir que mon père montrait à passer un moment avec sa famille, parler chasse avec son frère? Et là, la tante sortait ce qu’elle avait et nous participions à la préparation de ce diner impromptu, une soupe de légumes, une omelette, des fromages de chèvre ; je jouais peu avec mes cousins qui, éduqués à la discipline rigoureuse de leur père, restaient souvent dans leur coin sans broncher.

A la mort du grand-père, ils iront habiter sa maison ; ma tante acquerra une voiturette et ils commenceront une seconde vie plus paisible, plus reposante pour mon oncle qui a passé 2 décennies à casser des cailloux à la carrière.

Bernard, employé SNCF, s’est marié avec Francette Meunier. Ils feront construire à SteRadegonde, près de ses parents. Maman aimait bien Francette : elle éprouvait certainement de la compassion pour elle, Bernard ayant très vite dérivé vers l’alcoolisme. Ils ont eu 2 enfants : Mickaël marié à Marie Guillet, enseignante et Frantz. Bernard décède en 2012.

Jean-Paul, à cause de son caractère, tout en retenue et très doux, fut un peu le souffre douleur de son père qui lui préférait Bernard, chasseur comme lui et assez intrépide. Il se marie avec Marie-Madeleine Bernard. Le couple s’installe à Repéroux (79) et a 2 enfants, Gwanaëlle, aide éducatrice et Arnaud, employé SNCF.

Christian, ouvrier, se marie avec Françoise ouvrière. Ils s’installent à Mauzé avec leurs 2 enfants, Alexandre et Nathanaël ; Christian, très fidèlement, s’occupera des vieux jours de sa mère, très entourée aussi par sa belle-fille et ses petits enfants conquis par la gentillesse exceptionnelle de cette grand-mère.

Elle a dû quitter sa maison de Mauzé-Thouarsais pour finir ses jours à la maison de retraite de Thouars ; elle regrettait sa petite voiturette qui lui avait permis de petites escapades…bien méritées. Elle décède en 2015 à l’âge de 93 ans.
















Abécédaire mémoriel


A comme Amour
Je n’ai pas été, si je fais une bonne lecture du livret de famille, une « enfant de l’Amour », c'est-à-dire celle conçue suite à un projet partagé, mais je suis plutôt née d’une conception accidentelle. Mon père était un séduisant jeune homme et ma mère pouvait séduire à travers son caractère enjoué, sa bonne humeur communicative et son intarissable « bavardage ».

Cependant, j’ai été une petite fille très aimée, par sa maman surtout ; mon père n’était pas très démonstratif et sa nature plutôt solitaire ne l’inclinait pas à me manifester ses sentiments. A la mort de maman, il s’est découvert et a plus facilement chercher le contact. Ma naissance non programmée a-t-elle été à l’origine de cette distance ? Ou bien son éducation privée de climat chaleureux l’avait-elle asséché ? N’avait-il pas appris à ressentir et à dire ? Maman me gâtait souvent mais elle le faisait en cachette de crainte des remarques de mon père…Elle me bordait chaque soir en me faisant plein de gros bisous bien sonores. Elle me préparait mon petit-déjeuner chaque matin, un grand bol de chocolat fumant et une tartine de pain de quatre livres, recouverte de la crème du lait que l’on avait fait bouillir la veille, et me le portait au lit en période de vacances, avant de partir travailler. Elle faisait confectionner par la « couturière », une voisine, de jolies petites tenues qui faisaient de moi une petite fille toujours très bien habillée…

Mais elle avait aussi un amour possessif que j’ai analysé bien plus tard ! Quelques jours avant son décès, elle m’a demandé de m’occuper de mon père, inquiète qu’elle était à l’idée de penser qu’il ne pourrait pas se débrouiller tout seul et elle a ajouté ces mots qui m’ont longtemps habitée tellement ils étaient lourds : « …je n’ai vécu que pour toi… tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi… » Ce qui était certainement très vrai. Mais alors, quelle responsabilité Quelle culpabilité !

Elle avait imaginé « ma vie » : j’aurais habité à côté de chez elle, et j’aurais des enfants avec un mari qui aurait été tel qu’elle l’avait imaginé, c'est-à-dire avec ses valeurs à elles, son mode de vie à elle. Elle aurait continué à être fière de moi comme elle l’était jusqu’alors de mon parcours scolaire et elle aurait pu le montrer aux autres, famille et voisins. Sa 1ère désillusion fut ma nomination comme institutrice à Cholet (49), département voisin déficitaire à l’époque. Elle aurait préféré que je me contente d’un poste d’employée de bureau dans les Deux-Sèvres.

Elle a ensuite beaucoup souffert de l’arrivée de Jean-Pierre qui n’était pas prêt à obéir à une belle-mère…Maman, depuis toujours avait dirigé la maison, la famille, et n’imaginait pas que cela puisse changer un jour !

Elle avait réussi cependant à faire céder Jean-Pierre qui avait finalement accepté un mariage à l’église. Mais ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était que la cérémonie serait réduite à une bénédiction et non une vraie messe ; elle l’a découvert le jour même et ce fut une terrible surprise qui engagea très mal les relations futures entre belle-mère et gendre ! Il est vrai que sa croyance en l’Eglise était fantaisiste ; mais seuls comptaient les « qu’en dirat-on », qui, à l’époque, gouvernaient les conduites de vie.

Elle aurait souhaité qu’on passe nos vacances à St-Jean alors que nous partions régulièrement camper ou skier ; elle aurait aimé avoir ses petits-enfants en vacances alors que nos métiers nous permettaient de les partager entièrement avec eux ; elle aurait aimé qu’on privilégie l’équipement de notre maison plutôt que d’acquérir voitures et caravane… Elle aura été malheureuse… et moi aussi…, tampon entre ma mère et mon mari, pour amortir des 2 côtés. Elle a fait, comme elle a pu, avec qui elle était, dans une période donnée, et son environnement. Le décès de Laurent et notre divorce l’ont accablée. J’ai essayé d’amortir les chocs : dès que possible, je leur ai fait installer le téléphone pour qu’on puisse échanger, J’ai maquillé autant que j’ai pu le départ de Jean-Pierre et mon « exil » à Mâcon (le divorce à l’époque était rare et mal vécu). Pendant ses hospitalisations, j’ai fait de multiples allers-retours Macon/Thouars, par train, en voiture…tous les 15 jours dans les derniers mois ; je l’ai assistée dans ses derniers instants, j’ai passé la dernière nuit auprès d’elle…mais je n’aurai pas « rattrapé » à ses yeux tout ce dont elle estimait avoir été frustrée.

Ce que je suis aujourd’hui tient évidemment de ce vécu-là.



B comme blessure
Je n’évoquerai qu’une toute petite blessure, celles avec un B majuscule étant déjà contenues dans d’autres écrits.

Aller au collège, de la ville voisine, Thouars, était une première ! Mon père était fier d’avoir son certificat de fin d’études et ma mère n’était allée que 2 ans à l’école : elle savait cependant lire, écrire et compter comme tout à chacun !
Ce fut donc une aventure ; à l’école primaire, j’étais la seule à partir en 6ème… Pas de visite préparatoire, pas de connaissance du fonctionnement, pas de relations qui te permettent de t’affranchir un peu : le grand saut donc !

Je n’ai pas de souvenir des principales fournitures sauf qu’elles avaient un coût que mes parents à l’époque avaient du mal à supporter : même les livres étaient à notre charge. J’avais obtenu une demi-bourse qui servait à payer une partie de ma demi-pension.

Le prof de gym demanda bien sûr un équipement : short et chaussures de sport. Ma mère transforma alors un short qu’elle possédait en y glissant des élastiques aux jambes de sorte qu’il « bouffait » comme une barboteuse et elle blanchit consciencieusement une paire de petites sandales en toile qui se fermaient sur le côté à l’aide d’un ravissant petit bouton rond. A la 1ère séance de gym, mon accoutrement provoqua d’abord un silence puis des petits rires étouffés et quand je réalisais que j’étais la cause de cette « hilarité », j’aurais souhaité que le sol s’entrouvre pour m’engloutir…


B comme Blouse
Mes rentrées scolaires, jusqu’en terminale, ont toujours été marquées par l’achat d’une nouvelle « blouse » !
Mais qu’est-ce qu’une blouse ? La machine à laver est une invention relativement récente et la corvée de la lessive a éreinté plus d’une ménagère. Aussi, prenait-on à l’époque beaucoup de précautions pour salir les vêtements le moins possible. On portait donc une blouse par-dessus nos tenues : robes, jupes…et la rentrée scolaire était l’occasion de son renouvellement.
Mémé Touche avait gardé cette habitude et chaque année, elle équipait ses petits- enfants de nouvelles blouses toujours très coquettes. Certains collèges et lycées exigeaient des couleurs spécifiques : bleu une semaine et rose la semaine suivante. J’ai échappé à cet uniforme et j’ai même innové, dans mon collège, la première blouse ¾, avec une martingale dans le dos ; la couturière de maman l’avait bien réussie dans un tissu à tous petits carreaux bleu et blanc ; l’année suivante, j’avais été copié à l’envie !
Jean-Pierre, même en études supérieures avait sa blouse grise, longue, ceinturée par une longue cordelette rouge et jaune, agrémentée de plusieurs pompons, qui variait selon la promotion.
Un rite bien oublié ! la Mère Denis serait au chômage aujourd’hui…


C comme Culture
J’ai baignée, jusqu’à ce que je parte travailler, dans la culture familiale, comme tout à chacun ; mais la faconde de ma mère et celle de la famille Boussereau en général ont fait que j’ai été nourrie de récits, photos, objets hérités, transmis de famille en famille…Les sorties dominicales concernaient uniquement les visites de la famille ; là on échangeait les dernières anecdotes, on était à l’affût des réussites ou ...des déboires des autres, on se plaisait à évoquer le passé…Les grandes dates de la vie de chacun : baptême, communion, mariage, décès, étaient des occasions de rencontres et d’échanges.

En dehors de ces moments-là, peu de relations, peu d’« évènements ». Les vacances n’étaient pas rentrées dans nos rites ; elles n’étaient pas non plus dans nos moyens. Ma mère en profitait pour se reposer un peu, pour faire des conserves, du grand rangement ; un entrepreneur de machines agricoles employait mon père pour qu’il conduise les moissonneuses batteuses ; c’était un revenu substantiel attendu chaque été.

La politique ne faisait pas partie de notre monde. Pas de télé à l’époque pour ouvrir nos horizons qui se limitaient au souci de réussir à vivre en ayant de quoi manger et dormir et d’entretenir la maison.

Nous écoutions la radio : ma mère écoutait les chanteurs de l’époque (c’était courant alors de se faire un cahier de chansons qu’on recopiait ou que l’on collait après avoir acheté des feuillets spéciaux). Le midi, nos repas étaient accompagnés de « La famille Duraton » un feuilleton qui reproduisait l’intimité d’une famille française moyenne et le dimanche, nous suivions le coup de gueule hebdomadaire de « Mme Geneviève Taboui » qui décortiquait avec une verve acerbe et une voix particulière qui semblait prédire les pires catastrophes « ...Attendez-vous à…) les informations de la semaine ; nous n’étions pas suffisamment informés et motivés pour rebondir en famille et discuter de ses propos. Mes parents étaient abonnés au journal local pour surtout être au courant des « potins » régionaux, des naissances, mariages et décès dans les environs…

Une fois l’an, l’Amicale laïque du village voisin montait une pièce de théâtre et se produisait dans l’école. Ma mère n’aurait manqué pour rien au monde cette occasion d’aller s’émouvoir : « La petite porteuse de pain », « Sans famille, lui tiraient les larmes ; c’était l’aune de la réussite !

Nous n’allions que très rarement au cinéma ; C’était alors une sortie programmée avec des voisins pour voir des incontournables. Je ne me souviens que de « Sous le plus grand chapiteau du monde » et de « Violettes impériales ». Les 2 seuls films peut-être de mon enfance !

Pourtant mes parents, régulièrement, se sacrifiaient financièrement pour assister aux spectacles de cirque, Pinder, Amar… qui s’installaient assez fréquemment sur la grande place de Thouars. Nous allions d’abord visiter la ménagerie et puis nous rentrions sous le grand chapiteau avec l’espoir que nos places les moins chères nous permettent qu’en même de vibrer devant les numéros des trapézistes, dompteurs etc…nous rentrions ensuite à pieds dans la nuit en nous remémorant tous nos moments d’extase.

Une fois nous sommes allés au théâtre de la ville pour voir un magicien. Il s’appelait Alrex. Il m’avait fait monter sur scène, m’avait donné une baguette, m’avait demandé de rassembler toutes mes forces afin de taper avec elle ; ce que j’avais fait timidement d’abord, puis, encouragée, un peu plus fort…et, au moment où j’avais enfin oser frapper fort, ma baguette s’était transformée en une vulgaire ficelle. J’étais décontenancée ! Bien des années plus tard, quand je serais institutrice à Lande-Petite, un grand-père est venu inscrire ses 2 petitsfils, Jerry et Johan, ses enfants, équilibristes sur patins à roulettes étant en tournée dans un grand cirque de l’époque.

Ce grand-père était ce fameux Alrex. Toute la famille me fera vivre la magie du cirque en me permettant d e rencontrer des artistes, d’assister à des spectacles, de partager une journée d’un cirque. Il deviendra le mécène de l’école en organisant des spectacles dont le bénéfice revenait entièrement à la coopérative scolaire. Il me dévoilera que ces tours n’étaient que le fruit d’une manipulation très rôdée de matériels truqués !
Les parents de Jerry et Johan m’ont beaucoup épaulée pendant la maladie de Laurent en l’absence de Jean-Pierre qui « subissait » le service militaire. Ils m’ont surtout fait approcher la solidarité exemplaire du monde du cirque. Jerry est maintenant artiste : il a repris le numéro de ses parents et Johan a monté une école de cirque.

Mon mariage m’a fait découvrir un autre monde…J’ai connu des repas animés de discussions politiques, sociales…qui se terminaient parfois dans l’affrontement…On discutait de l’intérêt du dernier film passé à Cholet : les grands-parents Moreau, fervents de cinéma, avaient préféré supprimé le vin à table afin de pouvoir continuer à s’offrir des séances de ciné !

Ensuite, Jean-Pierre nous a fait sillonner la France, découvrir tous les sites connus à travers nos séjours dans les terrains de camping GCU ; nous avons pendant des étés planté notre tente à Vedène pour participer au festival d’Avignon : théâtre de rue, théâtre dans le palais des Papes, marché des artisans, rencontres insolites…nous partagions nos impressions avec des couples d’amis que nous retrouvions chaque année…Ma vision du monde s’est, sans que je m’en aperçoive, modifiée petit à petit.

Ce que je suis aujourd’hui, est bien entendu, une résultante de tous ces cheminements, ces environnements, comme tout à chacun.


D comme Détente
Je suis rarement très détendue !

Si je creuse ma mémoire, je fus, enfant, souvent en désarroi face aux nombreux conflits qui semblaient nourrir mes parents : caractères différents, envies opposées, petites jalousies, difficultés financières…Ces conflits dégénéraient cycliquement en crise plus graves et mon père, principalement, menaçait de se suicider, en projetant de se jeter dans le Thouet, ou de se tirer une cartouche avec son fusil de chasse, ou de se pendre dans le grenier…
Le silence alors était roi entre eux deux, mon père boudait les repas et ma mère m’envoyait, au bout d’un certain temps, m’enquérir de l’état et des volontés de mon père. Je fouillais la maison, pour trouver le lieu où il s’était replié… Je devais alors argumenter, le supplier de venir manger, le ramener à la raison. Parfois ma mère prenait le relais et menaçait de faire sa valise et de partir.

Je n’ai pas très bien vécu ma scolarité au collège. Mal intégrée, venant de ma petite école de campagne, je n’ai pas fourni le travail nécessaire pour avoir de bons résultats qui m’auraient confortée!
Je rentrais du collège, retrouvais la maison vide, goûtais, préparais la cuisson des légumes pour le diner et me mettais difficilement au travail ! Mes parents n’étaient pas en capacité de vérifier mon emploi du temps, ni mon cahier de textes et je suis partie plus d’un matin au collège, la boule dans le ventre, ayant fait l’impasse de l’apprentissage de mes leçons. Au lycée, j’ai dû mesurer l’importance des études car j’ai consciencieusement travaillé !

Mon mariage aussi fut source de stress puisqu’il ne correspondait pas aux vœux de maman et qu’elle n’a pas manqué de me le faire sentir. Chaque visite chez les parents était aléatoire et tendue puisque Jean-Pierre supportant très difficilement ma mère, pouvait à chaque instant créer le clash !

La maladie de Laurent fut une épreuve terrible…

Ma séparation m’obligea à louvoyer avec la réalité quelque temps pour ménager maman… L’adolescence des filles me permit peu de relâchement…

La maladie de maman, à distance, suivie de son décès, occasionna une réorganisation du quotidien de mon père…Son traumatisme engendra sa perte d’autonomie et les visites à l’hôpital psychiatrique de Bourg resteront longtemps comme des épreuves dans ma mémoire…

Comme toute mère, l’avenir de mes filles, la création de leur famille, leur bien-vivre me soucient souvent…

Je crois avoir développé une « activité de survie » qui occupe l’esprit en continu dont j’ai beaucoup de peine à me défaire aujourd’hui ! Je ne sais plus ce que détente signifie…L’ai-je su un jour ?


…comme Dimanche
J’aime peu les dimanches…ce n’est pas très original…

J’aime que la vie fourmille et le « standbye » du dimanche doit trop me renvoyer à moi-même et ne me convient pas ; comme le temps des vacances ; cette parenthèse pendant laquelle les gens se relâchent, ce que je ne sais pas faire, me « chiffonne ». Je crois que je suis jalouse de la capacité des autres à profiter de ce temps libéré !

Quand j’étais enfant, le dimanche était particulier. C’était le jour des « habits du dimanche », ceux qu’on ne portait que ce jour-là, pendant une année environ, avant qu’ils deviennent ensuite les vêtements de tous les jours.

C’était le matin du grand ménage : je devais faire ma chambre « en grand », c'est-à-dire balayer, passer le balai Océdar puis épousseter tous les meubles.

C’était aussi le jour où mes parents s’accordaient une bonne sieste, privés qu’ils en étaient par leurs longues journées de travail et je devais attendre leur réveil avant d’avoir une activité de ballade qui consistait souvent à rendre visite à la famille. Ma mère se levait puis prenait son grand bol de café, s’habillait, se maquillait un peu ; l’après-midi était déjà bien avancé !

Quelques rares fois, ce rituel était bousculé : la fête annuelle de l’aérodrome par exemple, là où j’ai fait mon baptême de l’air, à 10 ans, sous les yeux terriblement inquiets de ma mère, dans un vieux coucou : un souvenir inoubliable…ou la visite de la foire exposition qu’on ne ratait jamais, pour rêver devant toutes les nouvelles technologies qu’on savait inaccessibles pour notre budget…pour le moto-cross dans les coteaux de Pommiers d’où on rentrait , la tête fracassée par le vrombissement des moteurs et parfois les vêtements maculés par les projections de boue…mais remplis d’admiration pour tous ces bolides intrépides qui dérapaient avec adresse sur les pentes et les bosses…

L’été quelques pique-nique au bord du Thouet pour accompagner mon père à la pêche et tenter d’apprendre à nager…



Comme Douche
L’eau courante à la maison n’est arrivée que tardivement et la toilette avait des rites bien différents de ceux d’aujourd’hui.

La cérémonie du shampoing prenait un certain temps, celui de faire chauffer l’eau dans la bouilloire, de préparer la cuvette, le vinaigre pour le rinçage, ce qui devait rendre les cheveux plus brillants…La serviette autour du cou, on penchait la tête au-dessus de l’évier et l’on versait l’eau à l’aide d’un pot dans lequel on avait tenté de doser eau chaude et eau froide pour que ce soit supportable !Pas toujours réussi… La grande toilette se faisait le samedi soir, au gant bien entendu !

Les villes avaient développé le principe « des bains-douches »
Le samedi, je préparais alors mon sac avec tout le nécessaire, montais à vélo à Thouars jusqu’au bâtiment des Bains-Douches. Je payais mon ticket et j’attendais mon tour dans une atmosphère chaude et humide…Nous ne disposions que de 20 minutes, déshabillage et habillage compris, pour prendre notre douche dans une cabine, toute carrelée de blanc, avec la hantise d’être rappelée à l’ordre, au haut-parleur, si la surveillante s’apercevait que l’on avait dépassé le temps imparti…Mais quel plaisir de se sentir vraiment propre ! On finissait par retrouver les mêmes personnes et on se donnait rendez-vous pour les fois suivantes, ce qui permettait de discuter d’une cabine à l’autre malgré le bruit de l’eau qui giclait de toutes les pommes à la fois ! La vapeur d’eau envahissait tout le bâtiment et en période de pointe on aurait pu se croire dans un hammam si on avait su que cela existait !



E comme Ecole

De 3/4ans à 55ans, je n’aurais pas quitté l’école ; du porte-plume avec l’encre violette , au stylo-plume en passant par l’arrivée de la « pointe Bic »…, de la caisse magique du bibliobus remplie de bouquins jaunis couverts d’un papier bleu qui tournait dans les écoles tous les trimestres pour notre plus grand bonheur, à la BCD (Bibliothèque Centre de Documentation) inaugurée à l’école Arc-en-ciel à Mâcon en 1985, la 1ère du département…, du tableau noir poussiéreux de craie au tableau « Velléda »… , de la blouse obligatoire aux tenues les plus sophistiquées…j’ai vu évoluer sur un demi-siècle, l’histoire de cette institution.

De la leçon de morale, traditionnelle et quotidienne, avec sa phrase calligraphiée sur le cahier du jour, au « conseil de classe » puis au « comité d’enfants » à l’échelon de l’école, j’ai participé à cette évolution et si j’en crois encore des anciens parents et des anciens élèves que le hasard me fait croiser parfois, j’ai même parfois précédé cette évolution.

Cette carrière dans l’Education a fait la fierté de mes parents ; c’était l’époque où l’école jouait le rôle d’ascenseur social : ma mère n’est allée que 2 ans à l’école, mon père a eu le fameux « Certificat d’études », j’ai suivi le collège, le lycée, j’ai eu le baccalauréat et mes enfants et petits-enfants sont allés ou iront à la Fac ou fréquenteront de grandes écoles.

J’ai milité pour que l’école change. Avec du recul, je crois que ce que j’aime, c’est faire bouger les « choses ».



F comme Famille
J’ai été bercé par les histoires de famille. La proximité géographique de nos villages de résidence permettait des contacts fréquents et les conversations aimaient à tricoter ou détricoter la vie des autres !

L’éclatement des couples, la commodité accrue des transports ont modifié ce paysage social.
Mais malgré les perturbations que nous avons connues, je suis heureuse d’avoir la possibilité de vivre de forts et vrais moments de bonheur quand l’occasion nous est donnée de nous rassembler.
Je mesure régulièrement combien l’imprévisible équilibre de nos 2 couples recomposés a évité rupture, éloignement, rancœur, comme il a permis le partage de réconfortants moments de regroupements familiaux.

Je sais aussi que l’esprit de famille dans notre « tribu » est bel et bien actif et que nous serons toujours là, les uns pour les autres, à chaque fois que cela sera nécessaire.
Nous le devons à l’ouverture d’esprit des grands-parents Moreau qui ont eu, dès l’annonce de notre séparation, avec doigté et affection, les paroles qui allaient déterminer nos futurs.


F comme Formation
J’ai presque toujours abordé les choses de la vie sans y avoir été préparée.
Les transformations naturelles du corps, celles que vit toute adolescente, je les ai éprouvées sans qu’on m’en ait informé. Pas d’éducation sexuelle au programme de l’école à l’époque, et ma mère, par pudeur ou parce qu’elle ne savait pas comment s’y prendre, ne m’a jamais initiée. J’ai découvert mes premières règles avec stupeur et ma mère fut soulagée de ne pas avoir eu besoin de me prévenir !
Je suis rentrée dans l’Education nationale par la petite porte, celles des remplacements à faire au pied levé. Mais à l’époque, j’ai bénéficié de l’effet « baby boom », c'est-à-dire que le nombre d’enfants à scolariser était bien supérieur aux capacités d’accueil et d’encadrement. Je n’ai donc eu à effectuer principalement que des remplacements à l’année.
Mes 1ers pas d’enseignante ont eu lieu dans une classe de CM1 que l’Académie se devait de dédoubler puisqu’elle comptait 43 élèves.
Pas de local disponible dans l’immédiat ; j’ai travaillé en doublette, jusqu’aux vacances de Toussaint, avec la titulaire de la classe.
Je revis, avec amusement, maintenant, ces 1ères heures ! La collègue me demanda de préparer sur un tableau mobile, le modèle d’écriture du jour, qui était la lettre « u » (dans ce domaine, ce n’est pas la plus difficile…) Impossible de maitriser la tenue d’un bâton de craie, le U majuscule me narguait…Au bout de 5 minutes, la collègue s’inquiéta de mon silence !
La honte !!!
Une émission de radio avait, à l’époque, scandalisé son auditoire en révélant que pour être charcutier, il fallait suivre 3 années d’apprentissage alors qu’on n’avait aucune exigence vis-àvis des enseignants novices à qui on confiait la responsabilité d’enfants. Quelques 6 années plus tard, on me chargera de la formation des futurs enseignants, là encore sans avoir été formée à ce genre de mission : la pénurie de maitres titulaires acceptant la lourdeur d’une classe unique plusieurs années de suite m’avait propulsée à cette tâche malgré mon peu d’ancienneté ; j’ai certainement été une des plus jeunes maitres-formateurs de l’Education nationale.
Plus tard j’ai été chargée des zones d’éducation prioritaire, sans grands bagages ; plus tard encore, je me suis retrouvée à la tête d’une commune par la force des choses sans l’avoir anticipé !
Les formations sur le tas ne sont peut- être pas très confortables mais elles peuvent aussi, ne pas être catastrophiques !!!


G comme Guinguette
Thouars est une ville lovée dans un méandre du Thouet et qui bénéficie ainsi de jolis bords de rivière. A la sortie de la ville, un lieu-dit « Pommiers », attirait l’été bien des promeneurs.
Un auberge, installée au bord de l’eau, offrait une piste de danse en plein air sous les ombrages d’arbres généreux, un coin baignade, avec pédalos, canoës…La jeunesse du coin aimait à s’y retrouver, pendant les vacances d’été, y accédant en vélo par des sentiers tortueux et des passerelles pas très fiables…Là on passait des après-midis à danser, flirter au son de la musique du moment : Sydney Béchet, Louis Amstrong, Paul Anka, Elvis Presley… et à se baigner puisqu’il n’y avait pas de piscine municipale à l’époque.

Pour cela il fallait un maillot de bain ! Et il n’était pas question d’en acheter un ! J’avais eu jusqu’alors des maillots de bain tricotés, mais à 16 ans, c’était un peu dépassé. Une de mes amies de l’époque, Babette, était la fille de commerçants en lingerie et corsets. Elle s’était procuré des « baleines », nécessaires pour obtenir le galbe du soutien-gorge. J’ai alors dégoté dans une armoire une ancienne robe, bleue ciel à tout petits pois marine. J’ai découpé « un slip de bain » et son soutien-gorge assorti ; j’ai utilisé, en cachette, la machine à coudre de ma mère et j’ai confectionné mon 1er maillot, forme bikini, J’étais très fière de moi…je l’ai été un peu moins quand je l’ai étrenné. La cotonnade étant très légère, lorsque je suis sortie de l’eau, tout était transparent…c’était beaucoup trop avant-gardiste pour l’époque… !!! J’en rougis encore un demi-siècle plus tard…



H comme Haine
Je dois avouer avoir parfois éprouvé un sentiment de haine.

L’école primaire que j’ai fréquentée était une petite école de village à deux classes, servie par un couple d’enseignants, Mme et Mr Vouhé. Lors de ma 1ère année dans « la grande classe » du directeur, j’occupais une place au deuxième rang d’une colonne d’une rangée de tables longeant le mur. Cette année-là, la classe avait été entièrement repeinte en vert clair.
Nous écrivions alors à l’aide d’un porte-plume que nous trempions dans un encrier d’encre violette. Souvent la plume trop gorgée d’encre, pas suffisamment, ni précisément dosée faisait jaillir sur la page blanche du cahier de magnifiques étoiles qui nous valaient d’être punis. Mon voisin de devant, Marc Wazack, a secoué le trop plein de sa plume dans la petite ruelle entre les tables et le mur et a ainsi splatché, à ma hauteur de table, sur la peinture fraîche, une très belle guirlande de taches, semblable à une queue de comète… Le maître, très coléreux de nature, s’est très vite emporté et ne sachant pas se maitriser, donc sans réfléchir m’accusa du méfait. J’eus beau tenté de lui expliquer que la trajectoire m’innocentait ; rien n’y fit et j’eus droit aux coups de fouet devant la classe entière. J’eus la haine contre le maitre qui avait utilisé le fouet avec lequel il dressait ses chiens, puis contre le Marc Wazack qui, à aucun moment, avoua son geste !

Bien plus tard, divers problèmes avec ma hiérarchie me conduisirent à éprouver de la haine. Alors que je m’efforçais de défendre la qualité de la scolarisation des enfants d’immigrés dans les quartiers difficiles, un inspecteur de l’Education Nationale osa, répondant à une demande d’audience de parents d’élèves qui voulaient défendre ma démarche, mentir, me prêter des propos diffamatoires, m’accuser de malversations…les parents écoeurés me rapportèrent la teneur de leur entrevue ; j’eus alors pendant quelques jours une envie folle d’aller lui crever tous ses pneus !!!


H comme Humeur
J’ai souvent subi des « coups de blues » aussi soudains qu’inexplicables. Je plonge alors dans un trou noir pendant un temps variable, parfois plusieurs jours, dans l’incapacité d’identifier la raison. Plus d’envies, plus de tonus…puis, par le plus grand mystère j’en ressors aussi dynamique que si rien ne s’était passé.
Avec l’âge cet état étrange et inconfortable aurait tendance à disparaitre. Ouf !



I comme Idiote
Quand nous cherchions le prénom de notre premier enfant, Jean-Pierre exprima, pour une fille, sa préférence pour Elise.

Or, Maman a géré à St-Jean –de-Thouars un café, nommé le « café de la Gaité »et nous occupions le logement. En face, une dépendance de maison d’habitation, avait été sommairement aménagée. Composée d’une seule pièce très basse, éclairée par une toute petite fenêtre, elle était habitée par une femme sans âge, souvent hirsute, toujours vêtue de tenues extravagantes. Elle ne sortait de chez elle que très rarement, souvent au crépuscule, pour aller puiser de l’eau à la fontaine municipale. Ses apparitions étaient très remarquées et attendues. Elle n’ouvrait que très rarement sa fenêtre, montait alors sur le rebord, invectivait la population avec des propos incompréhensibles la plupart du temps et se dénudait au rythme d’un streap-tease. On l’appelait l’Idiote du village. Elle s’appelait Elise. Je ne pouvais pas alors concevoir de prénommer notre fille Elise…

Avec du recul, son alcoolisme notoire, la solitude dans laquelle la population la cantonnait, la dureté de ses conditions de vie étaient autant de facteurs de son déséquilibre plutôt que son Idiotie attitrée. Chienne de vie !!!


J comme Jean-Pierre
Jean-Pierre et ses engagements jamais trahis ; Jean-Pierre et sa soif de connaitre, de découvrir ; sa place à conquérir face à un père qu’on admire mais qui ne laisse que très peu de place aux autres.
Nous avons en commun nos enfants, le respect de l’autre, une certaine idée de la loyauté, de beaux souvenirs…Il m’a ouvert des horizons méconnus, m’a fait grandir…



J comme Joie
J’ai été une petite fille gâtée, pas disgracieuse, qui réussissait bien à l’école…

Chaque matin de Noël fut une fête quand je trouvais au pied du sapin, le jouet attendu, que mes parents, comme tous les parents, avaient réussi à m’offrir !

Prendre le train, certains étés, pour aller en Normandie chez mes cousines, était une aventure qui me comblait.

Mon baptême de l’air, grâce à un billet de tombola gagnant, me permit, outre le plaisir des yeux, la découverte de sensations fortes, de pouvoir « plastronner » devant les autres !

Mes plus grandes joies furent les naissances de mes enfants : il fallait que je me retienne : j’avais envie de les croquer ! Mais la précarité de notre situation, l’angoisse de ne pas arriver à tout faire, ou à bien faire, les responsabilités nouvelles ont accompagné ces grands moments.

Par contre l’annonce de la naissance de ma première petite fille restera un moment inoubliable.
Un nouveau maillon de la chaine familiale venait de se créer ; c’était une période de transition, où l’on grandit, où l’on est catapulté dans un autre espace-temps ; j’eus le sentiment d’une tâche accomplie ; je n’ai toujours pas, aujourd’hui, tous les mots pour décrire ce moment de plénitude.

Les autres naissances de mes petits-enfants furent également de très grands moments de joie, mais, je me dois de confesser que l’intensité de cette 1ère naissance ne fut pas dépassée.

Aujourd’hui, chacun à leur manière, me remplit de joie, à part égale, dès que je peux échanger avec eux.

Je dois aussi à Serge d’avoir connu des moments de joie, grâce à son amour qu’il traduit par des attentions, petites ou grandes, à des moments qu’il sait importants ou auxquels il sait donner de l’importance.



K comme kitch
Chacun a sa notion du « kitch » ! Si « les goûts et les couleurs ne se discutent pas », une rétrospective de mon environnement, de mon enfance à maintenant, me fait sourire intérieurement…

J’ai sacrifié à tout… à l’influence des modes, à l’osmose du milieu social, aux envies d’intégration dans un milieu… pour m’orienter finalement vers un certain minimalisme… pas toujours bien affirmé… puisque les sirènes du passé me font encore craquer pour des objets chargés de souvenirs au détriment d’une simplicité qui pourtant m’attire !

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme, qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » J’ai beaucoup de mal à me séparer de ces témoins ; ils n’ont pas de valeur marchande ; ils encombrent la maison ; je peste dès que je dois les épousseter et les entretenir ; je sais qu’ils ne « parlent » qu’à moi ; et cependant je ne réussis pas, ou peu, à me dépêtrer de ce fil ténu qui me relie à eux.

Puis-je espérer grandir un jour encore ?!



L comme Liberté
J’ai été une enfant relativement obéissante, une adolescente dont le comportement ne donnait pas trop de soucis à ses parents. Pourtant, je ne pense pas avoir bénéficié d’une liberté sans limites ; au contraire : l’environnement était très codé, assez fermé, tout en étant très aimant et je ne devais pas éprouver le besoin de m’évader ou de lutter contre les injustices que je n’étais pas à même de percevoir ou de discuter.
A l’âge adulte, la rudesse de la vie m’a forcée à me défendre, à lutter, pour moi d’abord, puis insensiblement, l’injustice, les inégalités touchant les autres m’ont petit à petit portée à réfléchir, à me forger un concept de liberté que j’essaie de défendre et de plaider dès que l’occasion se présente.
Dans ma vie professionnelle, j’ai eu souvent à m’opposer à la hiérarchie, ce qui ne m’a pas pénalisée puisque j’ai été « gratifiée » des Palmes Académiques ; j’avais des convictions pédagogiques, et j’ai bien souvent contourné les instructions officielles pour que les enfants qui m’étaient confiés puissent avoir une scolarité qui leur ouvre bien entendu les portes du savoir mais aussi qui leur permette de commencer à s’autogérer. Mais combien de conflits j’ai dû affronter pour être en accord avec moi-même…


M comme MOTS pour MAUX
Je n’ai toujours pas assez de mots à ma disposition pour traduire le deuil de Laurent, de mon petit garçon, si gentil, si souriant, si plein d’avenir. Je quitterai cette terre avant de l’avoir achevé.
Je crois pouvoir dire que les situations difficiles, et même plus, m’ont beaucoup accompagnée.
J’ai connu la dislocation de mon couple, la disparition trop rapide de ma mère, et j’ai découvert alors les ravages du cancer ; j’ai dû prendre en charge l’écroulement de mon père et percevoir les souffrances d’un hôpital psychiatrique ; j’ai côtoyé les addictions diverses de personnes qui me sont très chères et souffert indirectement de leurs conséquences. La mort, la folie, les faux paradis et leurs ravages, une thérapie douloureuse mais positive…On dit que les épreuves font grandir mais elles font aussi énormément souffrir. Entourée de plein d’amour, j’espère avoir passé le tunnel de l’enfer et avoir atteint l’autre rive, celle qui offre plus d’insouciance…


M comme Mouchette
Mouchette était le nom de mon chat quand j’étais petite ; c’était une petite chatte noire et blanche qui grimpait toujours sur ma chaise quand j’étais à table et se calait derrière mon dos. Elle détestait les chiens. Un dimanche, des chasseurs prenaient l’apéro dans le café de ma mère et l’alcool aidant, ils ont plaisanté sur l’attitude méfiante de Mouchette. Ils se sont mis à exciter Mouchette et leurs chiens, faisant des paris ridicules sur l’issue de leurs confrontations.
Et il arriva ce qui devait arriver : Mouchette sauta sur la truffe d’un chien et d’un coup de patte lui griffa l’œil, semant la consternation dans le clan des chasseurs.
A Lande-Petite nous avons eu une autre Mouchette ; elle affectionnait Laurent qui appréciait sa compagnie, souffrant déjà de sa maladie. Elle disparut pendant huit jours et nous revint un matin, très amaigrie, répandant une odeur pestilentielle : elle avait eu la patte coincée dans un piège et avait réussi à s’en extraire.
Le vétérinaire jugea son cas désespéré : la gangrène avait commencé son œuvre destructrice. Nous avons plaidé la situation et le vétérinaire lui a injecté de la pénicilline. Nous devions plusieurs fois par jour lui tremper la patte dans du Mercryl pur. Et le miracle eut lieu ! Sa patte sécha, puis tomba. Elle marchait sur 3 pattes, escaladait des murs de plus d’un mètre de hauteur, et surtout, Laurent était content d’avoir retrouvé sa Mouchette.


N comme Nature
Je suis née dans une ferme isolée ; j’ai eu une enfance rurale dans un village d’à peine 700 habitants ; un de mes 1ers postes fut une classe unique perdue au milieu des marais de la Loire : les étiers à suivre en vélo, les héronnières dans les taillis, les anguilles capturées dans les ruisseaux à l’aide du panier de la tondeuse à gazon…Dès la retraite nous avons élu domicile au milieu des champs de carottes et de poireaux !
Quel plaisir au printemps d’emprunter à vélo les petites routes et de respirer les parfums des acacias, de fouler à l’automne les chemins forestiers et de shooter les épaisseurs de feuilles mortes qui s’ébrouent alors pour se poser un peu plus loin accompagnées d’une bonne odeur d’humus…Si j’apprécie d’aller faire un tour en ville, je suis de plus en plus pressée de regagner mon environnement de verdure.
Chaque printemps, je scrute ce qui va sortir de terre et m’étonne à chaque fois des pouvoirs de la nature…


O comme Oubli
Il a des choses, des instants, des émotions, des rencontres qu’on aimerait garder toujours en mémoire, et qui s’effilochent inexorablement, malgré tous nos efforts pour les retenir ; et il ya tous ces moments douloureux parce qu’on les juge honteux qui s’accrochent comme de sangsues et dont on aimerait tant se débarrasser : maladresses qui ont pu blesser, disponibilité défaillante à des moments cruciaux, méconnaissances…tous ces gestes qu’on a pas su ou pas pu avoir au bon moment , qui s’inscrivent avec une encre indélébile et qui blessent encore et encore, quand ils ressurgissent dans notre mémoire, surtout avec la conscience née du recul.



P comme Premières fois
Je sais aujourd’hui que bien des expériences, des découvertes… ne sont plus, ne seront plus de mon actualité : les conséquences de ce qu’on appelle « prendre de l’âge » !
Notre traversée de la vie est tributaire d’une époque, en même temps que du tissu social dont on est issu, et ce qui peut relever aujourd’hui, aux yeux de mes petits-enfants, d’une incroyable banalité, fut parfois pour moi, une découverte somptueuse !

Ce n’est qu’à plus de vingt ans que j’ai vu la montagne pour la première fois : les Alpes, à Samoëns, en été ; Emmanuelle avait à peine 3mois…

Monter sur des « planches » pour skier, à la hauteur du départ des « œufs » à Vercland, dans un pré en pente, fut un moment mémorable : des chaussures basses en cuir avec plein de lanières à nouer ( pas de fixations automatiques…), des bâtons en bois…Seule la tenue vestimentaire était d’actualité ! A la fin de la semaine, nous avions pu emprunter, une benne, qui nous déposait sur le plateau des Saix, protégés par une chaine qui était sensée sécuriser l’engin pendant la montée. Réchauffés par la descente qui concentrait tous nos efforts de débutants, nous atteignions le plateau, frigorifiés : la benne était à ciel ouvert et la montée durait 20minutes !

La mer, en l’occurrence l’océan, j’avais eu quelques occasions d’y mettre les pieds ; nous n’habitions qu’à une centaine de kilomètres et mes parents, avec des amis parfois, organisaient des sorties dans le secteur des Sables d’Olonne. Mon père empruntait un fourgon de son entreprise et mes parents l’aménageaient sommairement pour qu’on puisse au moins y passer une nuit, qu’on puisse faire le café du matin…On se garait près d’une forêt de pins… et j’étais la plus heureuse des petites filles, avec mon maillot de bain en tricot ! Deux à trois fois dans toute mon enfance !

Je ne crois pas avoir fréquenté une piscine avant les vacances à Samoëns, quand nous campions près du Giffre. J’avais appris à flotter toute seule en rivière et je n’étais pas entrainée à supporter les plongeons intempestifs autour de moi qui me déstabilisaient fréquemment et risquaient de me faire boire la tasse ; car si je pouvais nager en surface, je n’avais pas appris à mettre la tête sous l’eau !

Je suis montée sur un bateau pour la 1ère fois pour traverser la Manche, de Calais à Douvres. J’avais 18 ans. J’étais monitrice dans une colonie de vacances au Touquet Paris Plage dans le nord de la France. J’avais profité d’un jour de repos avec deux autres moniteurs, pour une première sortie du territoire.

C’est à Lande-Petite où nous habitions Jean-Pierre et moi, après notre mariage, que nous avons fait l’acquisition d’une télévision. L’écran diffusait les images en noir et blanc, mais il était relativement grand et il était intégré dans un beau meuble qui occupait bien l’espace de notre petit « salon » !

Les commodités d’une salle d’eau nous ont été accordées par la Mairie de St-Etienne-deMontluc après bien des demandes : la joie de se faire un shampoing sous la douche et non la tête au- dessus d’une bassine, le plaisir d’une eau chaude à volonté qui supprimait la corvée de la cocotte d’eau à faire chauffer…J’avais 25 ans !

Les aventures sentimentales, si elles faisaient l’objet de bien d’allusions grivoises, étaient hautement encadrées ; pas d’éducation sexuelle à l’école, pas plus qu’à la maison d’ailleurs. A chacun son initiation avec la perspective toujours évoquée en garde-fou, de « tomber » enceinte, sachant que les moyens contraceptifs n’existaient pas ! Les 1ères fois étaient hautement risquées et on se devait d’attendre le mariage…

Ces « premières fois » me paraissent aujourd’hui assez désuètes mais elles témoignent d’une époque que « les moins de 20 ans » de maintenant ont certainement du mal à imaginer !!!


P comme Peur
Ma mère était peureuse et elle m’avait communiquée sa peur… Elle avait peur des « individus », des voleurs, des manouches … Le portail métallique de la maison était toujours fermé à clé et si quelqu’un se manifestait, elle entrebâillait un petit volet découpé dans ce portail et décidait ou non d’ouvrir.
Le soir avant de me coucher, je me baissais pour vérifier le dessous du lit ou je me glissais derrière l’armoire à glace, placée en biais dans un angle, pour m’assurer de la quiétude de la pièce !
Bien plus tard, à Lande-Petite, j’ai conjuré ma peur. Etant seule une nuit, j’ai réalisé que je n’avais pas recouvert la cage des tourterelles de la couverture qui les protégeait du froid très rigoureux de cet hiver-là. Il était minuit ; l’école était un bâtiment isolé. Il fallait traverser toute la cour de récréation pour rejoindre un vieux préau. La douceur de ces oiseaux m’a poussée hors de mon lit afin de protéger leur fragilité…Il y avait un magnifique clair de lune. Je fus très fière de moi !


Q comme Quarantaine
Ah ! Le passage des décennies ! Chacun les aborde, les vit, comme il peut tant elles sont porteuses de ce qu’on redoute tous : vieillir. C’est à l’occasion de mon quarante-cinquième anniversaire, que j’ai eu l’image d’un escabeau que j’avais gravi, et que je m’apprêtais à redescendre. Cette sensation m’avait impressionnée puisque j’y fais encore référence !
Mais c’était encore la décennie de tous les possibles puisque ce fut celle de mon 2ème mariage, de cette nouvelle vie avec Serge, de cette reconstruction que j’avais jugée, un moment impensable.


R comme Rêver
Comme toutes les petites filles, j’ai rêvé du « prince charmant ». J’étais une lectrice férue de contes et légendes et je mourais d’envie de pénétrer dans l’atmosphère féérique de ces univers. Je portais les cheveux forts longs à l’époque et en les brossant, j’en envoyais quelques -uns dans les airs en imaginant qu’un prince charmant serait conquis par leur blondeur et leur longueur et qu’il chercherait à me rencontrer…
Bien plus tard, alors que nous attendions la naissance de notre 3ème enfant (Aline…mais les pratiques médicales ne nous permettaient pas à l’époque de connaître le sexe de l’enfant à naitre !), nous avons passé une partie de l’été à Cauterets, dans les Pyrénées.
Pour échapper à une très forte chaleur, nous étions montés en altitude passer la journée. Mon état ne me permettait pas de faire de la marche ; aussi avions nous emprunté un télésiège pour redescendre.
Le temps était magnifique ; nous étions tous les quatre (Jean-Pierre, Emmanuelle, Laurent et moi) confortablement installés et le paysage se déroulait comme dans un film. Beaucoup de sérénité.
Sous nos pieds une famille composée des parents et de leurs trois enfants dévalait joyeusement la pente. Je ne sais pas pourquoi mais leur bonheur m’avait ravie et je me suis immédiatement projetée dans un avenir aussi radieux. Ce rêve n’eut pas d’écho…

Rêver, parfois, a une face moins malléable, moins maitrisable : le cauchemar.
Je sais maintenant que, jusqu’à ma fin de vie, j’aurais encore et encore, des nuits peuplées d’images qui traduisent mon refus inaltérable d’accepter l’absence de Laurent. Même si la thérapie, grâce au procédé du « rêve éveillé » m’avait apaisée face à ce deuil insurmontable, ces rendez-vous restent et resteront encore, tant le traumatisme a été énorme.
Les cauchemars sont révélateurs de nos limites. A la suite de la vente de la maison de mes parents j’ai dû procéder au déménagement, au « démantèlement » de ce qui avait constitué toute une vie. Vider, détruire, éparpiller…Une nuit, j’ai dû affronter une terrible épreuve. Je devais monter au grenier, mais les escaliers étaient en carton, s’écroulaient sous mon poids et me faisaient trébucher à chaque marche ; l’ascension était impossible et pourtant je devais la faire…


S comme Serge
Il y a des rencontres inattendues qui bouleversent une vie. Il faisait très froid, le ciel était très gris comme le ciel dans ma tête, une journée dictée par le travail, et …la rencontre porteuse d’une évidence presque immédiate.
Serge et sa timidité camouflée, Serge et ses tourments vrillés au fond de lui et jalousement bouclés, Serge et ses rêves déjoués, Serge et ses tentatives de détournements face à ces situations « minantes » . Serge et son élégance pour travestir la réalité. Serge et son ironie… Serge m’a offert des perles de vrai bonheur : des plages de sérénité sur des berges de Saône ensablées, des tables de repas amoureusement décorées avec d’humbles fleurs du jardin , des mises en valeur simples et somptueuses à la fois, une écoute et une patience tendres comme partages offerts dans les moments difficiles, une insertion réussie dans l’univers de ma famille, devenue sa famille… et encore et encore…comme ses victoires sur ses vieux démons. Serge m’a tant apporté et fait progresser.


S comme Sport
A part le sport scolaire au collège, je n’ai été initié à aucun sport pendant mon enfance : pas d’association sportive dans le village et ma mère préférait me savoir à la maison plutôt que sur la route pour me rendre à la ville ; elle estimait sans doute que les trajets quotidiens en vélo pour me rendre à l’école suffisaient et de plus, le coût d’une adhésion aurait été mal venu.
J’étais cependant assez douée au jokary, au houla-hoop…des jeux de fille unique ! Mais au collège, j’étais la reine des parties de « ballon prisonnier ». En tant que demi-pensionnaires, nous bénéficions d’un espace particulier sous de larges arcades et d’un laps de temps suffisant pour disputer de longues parties acharnées. Je bloquais à chaque fois le ballon qui me résonnait en pleine poitrine et je déployais une force redoutable pour viser les adversaires. On se bousculait pour faire partie de mon équipe ! Cocorico !!!


T comme Tamponneuses
Ma copine d’enfance s’appelait Ginette. Ses parents exploitaient une grosse ferme et son père était le maire du village. Aucun soin pour le rangement : c’était le chaos le plus total dans les étables, les hangars, la cour et la maison. L’argent de la vente du lait trainait dans tous les tiroirs, sur les commodes…Ginette en profitait et faisait des razzias sur cette monnaie si tentante quand les foires de jeunesse venaient s’installer à Thouars.
Nous passions alors des après-midis entiers sur le manège des autos tamponneuses au grand bonheur des gérants ; nous en sortions moulues mais sacrément comblées…


U comme Unique
J’ai eu le statut d’enfant unique, envié par mes copines de l’époque.
Certes, je fus gâtée dans la mesure des moyens de mes parents plus que si j’avais fait partie d’une fratrie importante, mais au prix d’une solitude que j’ai pu mesurer quand je suis rentrée dans la famille Moreau.
J’avais développé des capacités à m’autogérer, à meubler seule les soirées en attendant le retour des parents ; j’invitais souvent ma petite voisine à venir partager mes jouets et j’étais alors amenée parfois à céder à ses caprices pour profiter de sa présence.
Mais pas de connivence avec des frères ou sœurs, pas d’histoires partagées donc moins de souvenirs complices, le sel de la vie !


V comme Vie Vie privée,
vie professionnelle, vie sociale, vie intime…Vies multiples, parfois rudes, mais aussi constellées de myriades d’instants de bonheur de jouissance, de reconnaissance…

J’ai rassemblé ici quelques facettes de ce que fut la mienne afin de rester égoïstement le plus longtemps possible dans vos souvenirs.